Dans l’habitat, le transport ou les services, les villes qu’on nous promet demain se construisent symboliquement sur des modes de coopération horizontaux, suivant les grands principes du développement technologique décrit dans la Troisième Révolution Industrielle de Jeremy Rifkin. La ville intelligente, si l’on en croit cette prophétie, confondra tout ce qui constitue l’identité d’une ville analogique ou dite industrielle dans un écosystème synchrone et sans frontière : le territoire, l’histoire, l’identité, la langue, n’y seront guère plus des valeurs absolues, mais des données relatives, interchangeables selon les besoins ou attentes de chacun. La ville intelligente développera pour ainsi dire son potentiel médiatique jusqu’à l’abolition de toute distance.
Le Pavillon d’extra nationalité de Jerszy Seymour réintroduit dans le cours de cette urbanité en devenir un espace de présence, de rencontre et de réflexion sur le devenir des territoires habités, façonnés, nommés, constitués par la pensée humaine. Le Pavillon, qui par son nom seulement décrit une structure, est né du paysage suisse, dont la nature cache une construction historique, économique, littéraire et politique complexe. Originellement agrippée au flanc de la vallée du Klöntal, dans le canton de Glaris, cette cabane low-tech faite de planches cloutées et ajourées, invitait à faire l'expérience paradoxale du paysage. Derrière ses larges bandes roses et noires, la structure, manifestement étrangère au paysage romantique, devait devenir le lieu de réalisation du « Tout-Monde » d’Édouard Glissant. Philosophes, chercheurs, artistes ou simples promeneurs, s’y sont succédés durant deux jours en octobre 2014 sans autre bien commun que leur humanité, pour échanger sur la nature de l’être dans sa diversité physique et dans les représentations qu'elle nous inspire.
Cette ambassade de la pensée pure, où n’exerce aucune autorité sinon celle de la communauté qui s’y réunit sporadiquement, Jerszy Seymour souhaite l’inscrire dans le développement du Grand Paris. Le designer, artiste et philosophe y développe une forme de pensée active, une vision appelée à se répandre dans l’intimité du Pavillon, ici et maintenant en même temps que partout et nulle-part. C’est le sens de son every-topia, qui constitue un véritable micro-monde parallèle. Le Pavillon d’extra nationalité suspend nos modèles économiques, esthétiques et sociaux pour faire primer non seulement la recherche désenchantée d'une finalité heureuse, mais encore l’euphorie créative. Le design s’y déploie au-delà des objets, dans une relation poétique aux êtres et aux milieux, urbain ou naturel. Il a, comme dans la plupart des travaux de Jerszy Seymour, valeur d’œuvre totale inachevée, constamment augmentée par son instigateur et ceux qui souhaitent s’en revendiquer.
Le Pavillon, donc, n'est pas un lieu de repli identitaire, mais bien au contraire, de déploiement des paroles singulières. Il se donne l’ambition, par sa forme et sa présence, d'abolir symboliquement les frontières et invite à penser librement l'humanité en citoyen. Comme des kiosques à musique sans cesse appropriés par le public en dépit de leur usage premier, le Pavillon se chargera chaque fois des vibrations et des harmonies qui l'ont habité. Ainsi cette forme, simple et savante à la fois, donne au paysage un lieu public pour penser l'essence et les moyens de notre vie contemporaine.
The Extra national assembly #1, réunie du 11 au 12 octobre 2014 dans le cadre de la Klöntal Triennale.
Avec : Antonia Birnbaum, Rodney La Tourelle, Jerszy Seymour, Fabien Vallos et Christopher Yggdre. Et aussi Yanik Balzer, Veronika Bjarsch, Lovis Caputo, Milos Djuric, Egon Elliut, Sarah Kueng et Kira Lillie.