Sous la direction de Laurent Jeanpierre, avec Bless (Désirée Heiss & Ines Kaag), Martin Boyce, Alain Bublex, Emmanuel Guy, Emmanuelle Huynh, Christoph Keller, Alexandre Laumonier et OMA/AMO.
Si le discours de la modernité est ancien, aucun accord n’existe quant à sa définition. Car la modernité n’est pas le nom d’un stade de l’histoire, mais celui d’un problème posé au temps présent. Ce fut d’abord la promesse que le futur serait différent, meilleur, plus libre, indéfiniment, que ce présent. Face à cette croyance, il se dit aussi, en même temps, et sans contradiction pourtant, que rien n’est nouveau sous le soleil, que « nous n’avons jamais été modernes ». Certains, depuis quelques décennies, ont appelé post-moderne ou « seconde modernité », d’autres « présentisme » ou contemporain – comme dans l’art dit « contemporain » –, cette conscience d’une crise des récits de la modernité. Mais personne ne peut dire si l’histoire est finie. Si ce qu’on appelle « la crise » est bel est bien notre futur. Si cette après-modernité se passera à jamais d’un avenir. En réalité, le discours de la modernité n’a jamais été homogène. Il inclut, dès l’origine, son double et son revers. S’il se démarque toujours du passé, c’est par une pluralité de traits définitoires : l’industrie et le marché, la technique et la liberté, l’art et la marchandise, la démocratie et la violence, la répétition et l’accélération, etc. Le moderne croit savoir ce qu’est la modernité ; personne ne sait ce qui est moderne. Telle est l’impasse du discours de la modernité. Cela ne l’a pas empêché d’être porté par l’Occident pour se distinguer du reste du monde, justifier ses conquêtes puis sa domination brutale.
Car le moderne est aussi une arme. Une interrogation, morale, politique, elle aussi moderne, découle de ce constat trop tard venu. Peut-on, doit-on être moderne ? Ainsi s’exprime la critique de la modernité, l’écologie par exemple. À moins qu’il ne soit question de reconnaître qu’il existe en fait des « modernités multiples » s’il est vrai que chaque société a conçu un modèle spécifique de développement humain ou d’articulation des temps historiques. La discordance des temps et des mondes, la différenciation interne : voilà ce qui définit alors le mieux l’époque moderne. De sorte qu’aujourd’hui, pour les civilisations, mais aussi pour les individus, il ne s’agirait plus vraiment de savoir qui est moderne, ni ce qui est moderne. Mais plutôt de se demander ceci : comment sommes-nous, comment pouvons-nous être modernes ?
Ces questions doivent être posées aux créateurs, la modernité les ayant longtemps placés en position d’éclaireurs, comme sur la pointe la plus moderne de la modernité. Et avec eux, il s’agira, comme ont toujours fait aussi les modernes, de déterminer où en est aujourd’hui, à Paris, en Europe, dans le monde, l’imaginaire de la modernité.
— Laurent Jeanpierre