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C'est dans un cadre exceptionnel, La Vallée, jardin de Gilles Clément dans la Creuse, que le célèbre paysagiste-jardinier et Guilain Roussel dialoguent autour des sujets qui les réunissent et qui résonnent avec les thématiques de l'exposition, une réflexion sur le monde qui nous entoure et la manière de prendre soin et d'écouter notre environnement.

Tout au long de la préparation de Surface Horizon, Marguerite Humeau a lu de nombreux ouvrages et rencontré plusieurs botanistes, biologistes, paysagistes pour enrichir sa réflexion autour de l'exposition.
 
Attachée aux voix et idées innovantes et engagées de ces milieux, elle s'est intéressée au travail de Gilles Clément, ses écrits autour des friches, tiers-paysages, et sa vision du paysage.
Elle a également rencontré Guilain Roussel, paysagiste et ancien élève de Gilles Clément avec lequel elle a longuement discuté pendant la conception de l'exposition.
La Vallée

Ingénieur horticole, paysagiste, écrivain, jardinier, Gilles Clément enseigne à l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage à Versailles.

En dehors de son activité de créateur de parcs, jardins, espaces publics et privés, il poursuit des travaux théoriques et pratiques autour des concepts de jardin en mouvement, jardin planétaire et Tiers-paysage.

Guilain Roussel est paysagiste, artiste-jardinier. Il a développé une pratique hybride entre paysage, art et société aboutissant à des interventions de natures très variées. La marge, le déconsidéré, l'entre-deux, l'économie de moyens se retrouvent au long de son travail.

Il s'intéresse aux temps-longs, à la sédimentation, la constitution des sols, les relations humaines, les écosystèmes vivants dans une vision de large spectre. Il développe des projets sur des principes de jardinage attentif et de connaissance des territoires sur lesquels il intervient mais aussi autour d'une pratique de l'improvisation et de l'adaptation au contexte et au spontané.

Il est fondateur du projet des Poussières à Aubervilliers, lieu culturel de proximité cherchant à imaginer de nouveaux liens entre habitants. Il a développé le projet de la Semeuse avec l'artiste slovène Marjetica Potrc aux Laboratoires d'Aubervilliers et le Jardin d'émerveille dans le Parc départemental de la Poudrerie avec le sculpteur et metteur en scène Vincent Vergone, jardin expérimental pour la petite enfance.

Il expérimente le film avec la chorégraphe activiste indienne Sangeeta Isvaran (Nyolo Tuki pour la communauté tribale Nyishi de la Vallée de Pakke en Inde, 2020) et avec la plasticienne Agnès Prévost (Contes Terrachroniques pour le PNR du Vexin Français, 2021).

Il est diplômé de l'École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles où il enseigne régulièrement depuis 2015.

Transcription

Guilain Roussel

Je suis Guilain Roussel. Je suis paysagiste-concepteur et dans le cadre de l’exposition Surface Horizon de Marguerite Humeau et Jean-Marie Appriou on est invités aujourd’hui chez Gilles Clément à parler plantes, botanique et engagement.

Gilles Clément 

Ca c’est un endroit que j’aime bien parce que c’est un talus. Il y avait un gros chêne qui est tombé en 1999 ou 2000. C’était la tempête. Alors ça a retourné toute la terre et ça a fait lever la dormance de plein de graines qui attendaient. Et moi je ne savais pas qu’elles attendaient. Et donc mon travail consiste à enlever ce qui peut gêner, celles que je veux garder et j’appelle ça le jardinage par soustraction et non pas le désherbage.

Guilain Roussel 

Donc Gilles on est dans ton jardin à la Vallée. Comment du coup tu te présenterais, tu te qualifierais aujourd’hui en 2021 ? Paysagiste ? Jardinier ? C’est une question qu’on a dû pas mal te poser...

Gilles Clément 

Oui, on me la pose chaque fois que je dois prendre la parole. Je dis toujours à peu près la même chose. C’est à dire, qu’officiellement, j’ai fait des études pour être paysagiste, donc c’est le terme qui convient, mais que je me sens plus jardinier, parce que j’ai un jardin, parce que je mets les mains dans la terre, mais aussi parce que je donne un privilège au vivant, ce qui n’est pas du tout l’obligation du paysagiste, qui, lui, peut faire un paysage avec du béton, avec des architectures diverses, ça peut s’entendre comme ça. Et moi je fais plutôt avec des êtres vivants que sont les plantes et si possible des animaux, quand ils arrivent dessus ça me plait bien. Donc je dis jardinier. Le jardinier, lui, a aussi comme mission de faire quelque chose qui est en rapport avec la facilité de la lecture, l’interprétation. Donc il doit intervenir avec une résolution esthétique. Il peut être un artiste, pas toujours mais… Il est à la fois un savant parce qu’il peut déterminer les espèces et un artiste parce qu’il fait un dessin, même s’il n’est pas prévu en amont sur une planche à dessin ou un écran. Quelquefois aussi, je rajoute que je suis écrivain. Parce que ça, c’est autre chose, ça c’est le pouvoir des mots. Et c’est beaucoup par la fonction d’enseignement, d’enseignant donc, que j’ai été amené à choisir les mots parce que les premiers livres, je les ai écrits pour les étudiants. 

Gilles Clément

Alors voilà. Ma rocaille. Ca, c’est très important parce que c’est là dessus que se trouve le sol, toutes les plantes. Et elles arrivent à vivre sur rien. Une roche hercynienne. Un magma des plus anciens du monde.

Guilain Roussel 

Là donc on est invité à dialoguer dans le cadre de l’exposition de Marguerite Humeau à la Fondation Lafayette et un des thèmes qui a été abordé par Marguerite, c’est de dire qu’il serait intéressant d’observer le temps des plantes comme peut-être un support ou une inspiration pour un nouveau modèle de société. Alors du coup c’est drôle parce qu’évidemment nous, c’est ce que l’on travaille dans notre métier, le temps des plantes et je me demandais s’il y avait un temps des plantes ou des temps des plantes. 

Gilles Clément 

Alors dans la vision qu’on a, un peu distante et très anthropocentrée des comportements différents pour les plantes, on va dire il y a les plantes à cycles courts qui vivent très peu de temps, qui apparaissent très peu de temps et puis des plantes à cycles très longs. Il y a cinq types biologiques comme ça. Les plus courts, ce sont les thérophytes, les annuelles, les bi-annuels, les plus longs, les phanérophytes. Les plus grands, les plus visibles sont les arbres qui peuvent avoir plusieurs millénaires. Aujourd’hui il y a des pins de l’Oregon qui ont plusieurs millénaires. Une plante annuelle, elle nous trompe sur sa durée de vie. Parce qu’elle apparaît pendant un temps court, un temps qu’il lui faut pour faire une graine. Mais la graine elle, une fois qu’elle est répandue sur le sol, on ne sait pas combien de temps elle va durer là, vivre là, avant de réapparaître visuellement pour nous. Elle est minuscule, elle disparaît dans la terre. Il y en a qui peuvent arriver jusqu’à deux, trois mille ans, quelquefois plus. On n’en sait rien, puisqu’on a découvert des graines de Toutankhamon, enfin bon…  

Guilain Roussel 

Des tombeaux.

Gilles Clément 

Des graminées qu’on a fait germer, pas toutes, mais enfin c’est quand même énorme.

Guilain Roussel 

Oui, oui

Gilles Clément

Donc ça veut dire que la durée de vie d’un organe comme celui-là, qui est comme un kyste, qui est fantastique, qui ne dépense aucune énergie et qui peut résister dans le temps, c’est fantastique. Donc le temps c’est quoi ? Ça finit par ne plus avoir beaucoup de sens. On est pas dans la mesure, telle que nous nous l’avons, avec les clics directs, les réponses immédiates sur l’ordi, c’est pas ça du tout. Ça dépend de tout un contexte, ce qu’on appelle l’écosystème avec son climat, le sol etc... et là on doit se faire à la complexité, à la diversité des échanges entre tous ces êtres, l’apprendre et se dire que si on veut aller plus vite on peut peut-être réagir de cette façon ou celle là, mais en tout cas il va forcément se passer quelque chose parce qu’on est dans un système vivant. Le jardinier lui, je dirais qu’il ne se heurte pas au temps, comme nous le faisons dans tous les calculs de rentabilité, il accompagne le temps. Et c’est tout.

Guilain Roussel 

Et il intervient du coup pour travailler sur l’équilibre, c’est toujours une question d’équilibre j’ai l’impression : comment on intervient pour choisir ce qu’on va vouloir favoriser ou non.

Gilles Clément

Oui, alors là, la décision de l’intervention de la part du jardinier c’est autre chose. Il peut vouloir passer beaucoup de temps dans le jardin ou peu, utiliser beaucoup de machines ou pas, ou beaucoup de produits, alors ça c’est le pire, ou pas, c’est pareil. Alors ça c’est vraiment un choix, un choix de gestion mais aussi de liberté laissée au jardin et aux espèces que l’on a en place. Il n’y a pas de règles véritablement pour ça. 

Guilain Roussel 

T’as des outils fétiches ou pas ? Au jardin ?

Gilles Clément 

Le sécateur 

Guilain Roussel

Le sécateur, oui

Gilles Clément 

Il est pas fétiche, mais il est toujours dans la poche. 

Guilain Roussel 

J’ai toujours pensé que les lieux qui étaient un peu en retrait étaient des lieux d’espoir, parce qu’ils sont moins au centre de l’intérêt. Et d’ailleurs, souvent, c’est les lieux qui ont été le plus préservés aussi, parce qu’on a des terres plus ingrates, ce qui a parfois sauvé des lieux, enfin qui en tout cas leur a permis d’arriver jusqu’à aujourd’hui sans être trop dégradés. Je me dis c’est peut-être des lieux de possible résistance et renouveau.  

Gilles Clément 

Oui, avec une autre possibilité qui est celle d’assurer un futur pour tous. Une terre prétendument riche d’un point de vue agricole, c’est une terre pauvre en diversité.

Guilain Roussel

Tout à fait oui

Gilles Clément 

En diversité. Il y a très peu d’espèces.

Guilain Roussel 

Et même la terre, enfin, c’est catastrophique

Gilles Clément

Et les terres sont polluées. Donc pour l’instant celles qui n’ont pas été traumatisées par toutes ces pollutions, parce qu’elles n’ont pas été très utilisées, parce qu’elles sont pauvres en fait sont riches en diversité. Partout, c’est pas uniquement dans les sols acides comme ceux de la Creuse où on est ici sur un massif hercynien très pauvre. Mais aussi pareil sur les Causses ou dans d’autres lieux. Donc on est dans cette situation là. Si on dit que puisque nous dépendons de cette diversité, que le futur doit être représenté par le maximum possible des êtres vivants sur la planète, être non-humains, à ce moment-là, les terres qu’on dit prétendument pauvres d’un point de vue agricole, pourraient devenir les terres les plus riches.

Guilain Roussel 

Il suffit juste de renverser la façon dont on regarde la chose. Sans qu’il y ait quelqu’un qui se dise, “tiens, je vais exploiter la diversité à cet endroit là”.

Gilles Clément 

Alors le problème, quand on a changé ces valeurs c’est de donner un prix. Ca c’est une horreur, parce que ça rentre sur le marché et la spéculation. Est-ce que ça veut dire que le mètre carré en Creuse va entrer en bourse à Wall Street ? Ça c’est foutu. C’est la destruction de tout. Le jeu de l’argent, parce que c’est juste un jeu, est dramatique. C’est ce qui tue.  

Guilain Roussel 

Est-ce que tu as été considéré comme nouveau quand tu es arrivé ici à la Vallée ?

Gilles Clément 

Non, parce que moi quand je suis arrivé, j’avais deux ans, c’était à un kilomètre d’ici. Mes parents se sont installés dans une maison au bord du lac d’ailleurs. C’était une vieille grange. Et très rapidement je suis venu me balader, mais j’étais tellement interloqué par le monde entomologique que je me suis mis à regarder comment ça marche. Et je suis arrivé dans cette vallée grâce aux paysans. Parce que comme on se connaissait beaucoup, moi j’ai gardé des moutons, des chèvres, des vaches avec eux, il y avait toujours un chien, enfin on discutait quoi. Tout ça même dans les pentes, qui aujourd’hui sont devenues des forêts parce qu’avant c’était pâturé, mais comme il n’y avait plus du tout de pâture à partir des années 60, c’est ce que j’appelle l’inversion du paysage, et bien les endroits en pente qui étaient vides d’arbres sont devenus des forêts, tandis que les endroits de commodités ont été ouverts, c’est le remembrement, il n’y a plus d’arbres, mais heureusement, la biomasse boisée au total n’a pas diminué. Elle est même supérieure par rapport à ce qui, à ce que l’on pouvait estimer il y a un siècle. Ça, on en parle pas beaucoup, mais heureusement que ça existe, que les pentes soient devenues des forêts. 

Gilles Clément 

Bon là on voit la maison avec deux types de pierres. Les pierres de granit que j’ai ramassé soit dans le jardin, soit j’en ai fait livrer, soit je les trouvais parce que les gens les jetaient pour construire en parpaing. Et puis il y a des schistes, très fins, des toutes petites qui ont servi pour faire les joints. Voilà, ça a été un travail un peu long.

Guilain Roussel 

Est-ce que tu considères que la construction de ta maison est un des actes fondateurs de la création du jardin ?

Gilles Clément 

Alors la construction de la maison, je ne l'avais pas prévu du tout. Simplement, moi je voulais un jardin. A la limite j’aurais pu habiter dans un arbre ou dans un terrier, mais bon, on a besoin de...

Guilain Roussel 

Moins pratique

Gilles Clément 

C’est moins pratique et puis les humains sont compliqués. Il faut du confort, enfin bon. Donc je me suis dit ok, faut une maison, puisqu’il y en a pas je vais la construire, c’est tout. 

Guilain Roussel 

Et c’est intéressant parce qu’en fait finalement t’as construit une maison en détournant des règles élémentaires d’architecture. Les fenêtres dans le coin : à l’endroit où il faut que la maison soit la plus solide, finalement on va mettre l’endroit le plus fragile et de dire “ça fonctionne, ça tient”. À mon sens c’est une architecture qui a été pensée au service du jardin dans ce sens là. C’est à dire que c’est une façon de regarder le jardin, toutes les fenêtres sont différentes, les positions par rapport…

Gilles Clément

Avec une allège basse, de façon à ce que le regard puisse aller par terre assez vite. Parce qu’il y a des tas d’animaux qui s’approchent, qui sont petits et si on a la fenêtre haute on ne voit rien. Donc ça, oui, ça fait partie du jardin.

Gilles Clément

Ca c’est la Grande Berce du Caucase. La plante qui est mal vue. Mais normalement elle monte à trois mètres de haut. Celle-là elle va monter plus.

Guilain Roussel 

Je suis repassé à l’Ecole du paysage il y a pas très longtemps. J’ai vu qu’il y a une berce du caucase qui est ressortie alors qu’elles avaient disparu pendant plusieurs années. Et là je me suis dit tiens, elle est ressortie. Elle était là. Elles étaient là quand moi j’étais étudiant. Elles avaient disparu. Et est-ce qu’il y avait un, une section de malherbologie à l’école d’horticulture ou pas ?

Gilles Clément 

Oui… 

Guilain Roussel 

Oui, il y avait une section de malherbologie…

Gilles Clément

Alors section de malherbologie ce n’était pas le cas. Ce n’était pas officiellement décrété de cette façon. 

Guilain Roussel 

Ce n’était pas formulé comme ça ?

Gilles Clément 

Il y a eu des livres, des traités de malherbologie. D’ailleurs, Montaigu, qui était quand même un botaniste merveilleux, fantastique a fait un livre qui s’appelle comme ça mais parce que c’était dans l’air du temps. Il était vraiment question de chasser, de tuer tout ce qui était considéré comme inutile et qui pouvait nuire à la croissance des végétaux que l’on voulait cultiver. Sans avoir compris que tout sert à tout et que chaque plante a son rôle dans l’écosystème. En fait, il n’y a pas de mauvaises herbes.

Guilain Roussel 

C’était l’étude pour l’extermination ?

Gilles Clément 

Oui, bien sûr. C’est assez curieux parce que cette étude, elle est savante et on nous enseignait cette science, donc on a appris plein de trucs, mais après, étant donné que ce n’était que des plantes à tuer, moi je n’ai plus appris, ce n’était pas la peine puisqu’on allait les faire disparaître. Il y a une ignorance qui s’est implantée dans le cerveau de tous ceux qui prétendent être proches de la nature et aujourd’hui, même ceux qui font les listes des plantes autorisées et interdites, n’y connaissent rien ! Ils n’ont pas compris ce qu’était la vie, la transformation, l’évolution. C’est grave ! Mais on avait cet enseignement, qui était très bien fait jusqu’au moment où on disait comment il faut faire pour obtenir des résultats, le mode de gestion, le réajustement, le rendement et tout ça et là c’était catastrophique. C’est là qu’on nous apprenait à tout détruire. A tuer.

Guilain Roussel 

Apprendre à tuer ?

Gilles Clément

Oui

Guilain Roussel

Je me posais la question, s’il y avait eu des écrits de philosophie qui avaient inspiré, enfin qui avaient alimenté ta réflexion, qui t’avaient marqué ?

Gilles Clément 

Alors de philosophie je ne suis pas sûr. Mais d’anthropologues, de scientifiques, de chercheurs plutôt dans le monde du vivant. J’étais très intéressé par les travaux de Laborit dont l’Eloge de la fuite nous parle des comportements animaux, aujourd’hui c’est (Jean) Baptiste Morizot qui m’intéresse. Des gens comme ça. Bien sûr qu’ils ont un côté philosophe. Mais parce qu’ils se basent sur des choses, qui moi me parlent plus parce qu’ils sont dans le constat.

Guilain Roussel 

Concret

Gilles Clément 

Concret

Guilain Roussel

Oui, bien sûr. 

Gilles Clément 

Et moi aussi je me vois bien avec ça. Donc c’est plutôt cela ou Henri Fabre, qui a écrit Les souvenirs entomologiques à partir de l’étude du bousier qui, suivent un bousier, bon ça va lentement un bousier heureusement, mais il fait je dirais des kilomètres avec les bousiers et il en fait un livre absolument fantastique, qu’aujourd’hui, les enfants au Japon, ont ce bouquin dans leur poche.

Gilles Clément

Il parle pour la première fois du comportement et non pas de la classification. Donc ça, ça m’intéresse. Alors est-ce que ce sont des philosophes ?

Guilain Roussel 

C’est encore une question de classification. Dans quelle rayon de la bibliothèque tu vas être rangé.

Gilles Clément 

C’est vrai… Aujourd’hui, les travaux de Philippe Descola je les aime beaucoup quoi. Je trouve ça merveilleux. Lire Au delà Nature et Culture, c’est un bouquin de base, qui permet de revoir le monde à partir de la diversité culturelle mais il te fait rentrer aussi dans la pratique de vie de tous les jours. Moi ça m’intéresse.

Guilain Roussel

Oui, c’est sûr qu’il ne faut pas que ce soit des écrits qui sont uniquement dans la pensée quoi, dans le mental.

Gilles Clément 

Il y a des gens qui font ça avec beaucoup de talents. Tout le monde parle de Gilles Deleuze, de, je ne sais pas. Je ne vais pas les citer parce qu’il y en a plein. Et quelques fois je tombe sur des phrases des réflexions de ces gens-là et oui, je trouve ça très beau et parfois assez juste, mais je ne les vis pas comme je vis d’autres choses qui sont en rapport direct avec le terrain.

Guilain Roussel 

Dans le cadre de l’exposition Marguerite Humeau on a réussi à faire cultiver en serre horticole des chardons, de l’herbe à robert, enfin tous les, enfin c’est une des petites joies de ce projet là. De se dire on va faire quelque chose, voilà. Et ça a été avec l’appui évidemment d’un enseignant, qui a dit oui on y va, et on va mettre en culture ça. Et ça va interpeller aussi les lycéens, qui vont dire, mais pourquoi est-ce que l’on cultive ça ? 

Gilles Clément 

C’est très bien qu’ils se posent des questions parce que chez leurs parents il n’y a pas ça. Mais quand ils ont pris conscience de ça, c’est eux qui deviennent les enseignants, tu sais. C’est les oursons métis.

Guilain Roussel 

Les oursons métis ?

Gilles Clément

Ceux qui naissent dans un contexte où ils découvrent tout et où finalement il s’agit de bouger, de manger, de vivre.

Guilain Roussel

C’est donc les ours polaires qui rencontrent…?

Gilles Clément 

Oui, oui. C’est le changement climatique : ours polaires et ours grizzly se rencontrent font des bébés. C’est Baptiste Morizot qui raconte tout ça mais très bien. Les petits, bon bah eux ça va ils sont là quoi, mais les parents ils ont souffert, ils sont encore stressés. Ils se posent des questions si je puis dire. Les gamins non. C’est eux qui apprennent à leurs parents comment faire pour vivre.

Guilain Roussel 

Comment s’adapter ?

Gilles Clément 

Oui. Aujourd’hui on voit que chez les jeunes il y a majoritairement une prise de conscience. Ce n’était absolument pas du tout comme ça il y a encore vingt ans. Et ça me paraît être un pas vers quelque chose d’autre, qui est plus vivable. Parce que vouloir tout maintenir parfaitement dans une architecture dans l’espace alors qu’on est avec des êtres vivants qui n’arrêtent pas de bouger, de transformer tout, c’est quand même pas sympa quoi. Ça veut dire qu’on accepte pas ce vivant. 

Gilles Clément 

Bon, ça c’est le jardin potager. C’est très important. Mais il y a des choses qui marchent pas du tout. J’ai resemé des haricots rames cette année, il n’y en pas un qui a levé. Bon il y a d’autres choses. Des pommes de terre, des courgettes...

Guilain Roussel

Finalement avec le projet de Marguerite Humeau, c’est intéressant de voir qu’il y a des centres d’intérêts qu’on a en tant que paysagiste qui sont en train de progressivement gagner des lieux d’expression et aussi d’exposition et de présentation au public. Finalement c’est intéressant de voir qu’il y a des gens qui se posent la question du rôle du végétal dans le futur de l’humanité.

Gilles Clément

Ca c’est très intéressant, mais la réponse est tout de suite donnée. Si on compare le monde végétal et tous les autres êtres vivants, le monde végétal s’en sort très bien. Beaucoup plus facilement. Par les mécanismes, voilà, je suis adossé à une plante qui est toute verte comme ça. La couleur verte c’est pas anodin. C’est la photosynthèse. C’est à partir de ce système là que la plante fabrique sa propre nourriture et se sert de l’énergie solaire. Bon il faut que le soleil existe...

C’est une technologie incroyable, très au point, depuis suffisamment longtemps et qui va durer jusqu’à ce que le soleil disparaisse dans le système dans lequel nous sommes. Parce qu’il y en a d’autres des soleils. Bon bah là les végétaux sont plus forts que les animaux. Les animaux n’ont pas ce système là. Eux sont obligés d’aller chercher leur nourriture. Ce qu’on appelle la prédation. Nous sommes des prédateurs. Nous, humains. Nous dépendons de cette diversité végétale, animale, tout ce qui nous permet de vivre. Nous devrions prendre conscience qu’il faut vraiment la caresser dans le bon sens du poil et faire en sorte qu’elle ne disparaisse pas parce que nous en dépendons. Ce n’est pas le cas des végétaux. Eux ils peuvent résister à tout.

Guilain Roussel

Gilles, merci beaucoup d’avoir pris le temps de cet échange. Merci.

Gilles Clément

Merci d’être venu là. Dans la Creuse perdue.