Culture Générale Générale
Thursday 22 Apr 2021 from 5pm to 6:04pm
Free entry
Charlotte Khouri's residency project "Culture Générale Générale", which began at the end of 2019, was to take the form of workshops with the public within the Foundation, in order to co-construct a performative work with the air of a fictional television programme on "general knowledge", inspired by L'assiette anglaise hosted by Bernard Rapp from 1987 to 1989.
Following the discussion, don't miss the screening of Culture Générale Générale, whose script, storyboard and interpretation are the result of a collective work with all the participants during the different sessions.
This film will then be available exclusively for one month on our online media library!
Her performance work is rooted in a practice of decorative painting and the design of stage props. These primary practices allow her to activate a ghostly link between forms and subjects through voice and text, making them at times witnesses, at times supports for a scenic complicity with the spectator or with a sometimes personified object.
By displacing images, figures and existing architectures in relation to her own scale - her body - she reappropriates a dominant cultural and historical continuum, through stagings that tend towards humour.
By replaying forms of media discourse, she seeks to deflect these shackles into absurdist poetry.
Trained at the Ecole supérieure des beaux-arts de Marseille, then at the Haute Ecole d'art et de design de Genève, she participated in the Salon de Montrouge 2019.
At the invitation of Anne Le Troter, they wrote and directed a dozen pieces of residential theatre that were hosted by the Saint-Nazaire Art Centre - le Grand Café, by the Frac Champagne Ardenne and by the Nanterre-Amandiers theatre in the Poltergeist programme.
Between 2019 and 2020, she was resident at La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-sec, where her first solo exhibition Dauphins, Dauphines was held. During the same season, she led workshops at the Lafayette Anticipations Foundation, on the themes of general culture and television.
She will soon be in residence for the Landerneau Biennial 2022.
Anna Colin is an independent curator, educator and researcher based in Kent, UK.
Alongside her freelance activities, which straddle the curatorial and the pedagogical and increasingly engage the natural environment and open spaces, Anna is training in horticulture and garden design, while completing a PhD in the School of Geography at the University of Nottingham. Her doctoral research unpacks the notion of alternative in multi-public educational organisations from the late 19th century to the present, in the UK and further afield.
Anna was a co-founder and director of Open School East, an independent art school and community space in London then Margate (2013-20). She worked as associate curator at Lafayette Anticipations in Paris (2014-20), associate director at Bétonsalon – Centre for art and research, Paris (2011-12), and curator at Gasworks, London (2007-10).
Anna has curated exhibitions at venues including CA2M, Móstoles/Madrid; Whitechapel Gallery, London; Victoria Gallery & Museum, Liverpool; Contemporary Image Collective, Cairo; GAM, Turin; La Synagogue de Delme, Delme; Le Quartier, Quimper; La Maison pop, Montreuil; and The Women's Library, London
In 2015-16, Anna was co-curator, with Lydia Yee, of British Art Show 8 (Leeds, Edinburgh, Norwich and Southampton).
Transcript
Anna Colin
Charlotte, c’est un plaisir d’être avec toi, live entre la Courneuve, Île de France et Deal, Kent, Angleterre. Donc c’est assez à propos déjà car on va parler des rapports entre France et Angleterre, culture française et culture anglaise. C'est déjà pas mal qu'on soit d'un côté comme de l'autre de la Manche.
Donc, on est là pour parler de ton film Culture Générale Générale, qui est un film que tu as réalisé dans le cadre d'un projet collaboratif à Lafayette Anticipations.
On s'est rencontré dans ton atelier. C'est une belle rencontre, je m'en souviens assez bien. Tu nous parlais du prochain film sur lequel tu voulais travailler.
Tu nous parlais d'un serpent, de spirales et de musique orientale, on ne comprenait pas grand chose, mais on voyait déjà qu'il y avait une sorte d'imagination sans borne et un truc à la fois très, très sophistiqué et très low tech en même temps, qu’on a pu voir aussi dans ce que tu nous a montré, et on s’est dit que ça serait quand même génial de faire un projet avec Charlotte.
Et donc, voilà, on t’a fait cette proposition et tu as commencé à nous envoyer des idées et très vite, tu nous a proposé de faire un projet sur la télévision et sur la culture générale. J'ai trouvé ça génial parce que c'est un concept qui m’est un peu alien, parce que j'habite en Angleterre depuis une vingtaine d'années maintenant, et ce concept n'existe pas vraiment de la même manière en France. La traduction littérale de culture générale, c'est “general knowledge" qui se traduirait comme un “savoir général”, ce qui n'est pas la même chose. “general knowledge”, c'est ce qui va être proposé dans les écoles primaires. C'est ce qu'on voit dans les jeux ou dans les quizz télévisées. C'est ce qu'on trouve dans le trivial pursuit version classique. Mais à part ça, le “general knowledge” est beaucoup moins central que la culture générale. Ça m'a intrigué comme une chose qui me semblait à la fois passée, parce que ça appartenait aussi à mon passé français, mais aussi très connecté à ces émissions de télévision qui me semblaient totalement énigmatiques à l'époque, quand j'étais enfant, comme par exemple “Bouillon de culture”. Et donc ça m'a beaucoup plu et on a discuté un peu de ces idées. et très vite, tu nous a parlé de L'assiette anglaise.
Charlotte Khouri
Merci Anna. Oui, en effet, tu as très bien amené tout le parcours qui m'a amené à découvrir L'assiette anglaise, parce que c'est grâce à votre invitation aussi que je me suis penchée sur les formats télévisuels qui ont existé dans les années 80s-90s, c'est vraiment les années explosives.
On est passé de une à six chaînes dans les années 80. Donc, il y a eu des tentatives dans tous les sens, des ratés, il y a eu des projets plus réussis. Canal+ notamment est le plus grand bébé des années 80 et du coup, je suis tombée sur L’assiette anglaise effectivement, qui est une émission qui a été mise en place, produite, réalisée, conçue par Bernard Rapp, qu'on connaît pour avoir présenté pendant très longtemps le JT sur Antenne 2 à 20 heures et qu'on connaît aussi pour son aspect pas révolutionnaire, mais disons qu'il avait une soif de liberté. C'est le premier présentateur télé à ôter sa cravate et à présenter le journal sans cravate. Quelques années après, il va quitter le journal de 20 heures pour créer sa propre émission d'information, un peu désaxé, qui s'appellera donc L’assiette anglaise, mais qui va durer deux ans uniquement. Ça va être une aventure assez intense. Cette émission, c'était une sorte de petites scénettes dans une sorte de bar à whisky / club spécialement réservé aux hommes où étaient invités à peu près sa bande de potes, il y avait aussi des femmes et des hommes de toutes origines à peu près du même âge, entre 30 et 45 ans, et chacun présentait une petite anecdote ou un petit reportage dans les tréfonds de la France, dans un petit territoire perdu, une petite émission sur l’accent marseillais, un petit reportage sur le musée du vélo à Cahors. Et du coup, il a développé un rapport à l'information très décalé, un peu à l'anglaise. Effectivement, je pense que le nom n'est pas anodin, non pas parce qu'il avait des origines anglaises, mais je pense qu'il avait cette culture de l'esprit anglais qui est toujours dans une sorte de décalage vis à vis de ce qu'il prétend montrer.
Anna Colin
Il y avait un caractère assez intersectionnel pour l'époque. Et c'était des sujets sur la classe, mais des sujets aussi sur le passé colonial de la France, qui était quand même assez rare pour cette période où il avait invité notamment une femme d'origine sénégalaise qui avait fait un petit reportage dans un musée où elle avait suivi des étudiant·e·s qui découvraient le fait qu'il y avait des soldats sénégalais présents dans les batailles de la Première Guerre mondiale. Et ils étaient là mais pourquoi ? Et elle leur expliquait que c'était parce que la France avait colonisé le Sénégal et que les Sénégalais n'étaient pas les seuls à se battre pour la France.
Charlotte Khouri
Il y avait effectivement - tu as raison - une vraie modernité, en fait, pour ces années-là. 87 à 89 où inviter effectivement des femmes au même titre que des hommes sur un plateau c'était... tout le monde avait la même casquette. Être pote et être journaliste. Il laissait aussi la part très libre à chacun. Et notamment, je me rappelle d'un petit reportage que Jean Teulé avait proposé, qui était sur un petit portrait d'une personne transgenre qui racontait un peu sa vie à travers une sorte de vidéo collage avec de la musique. C'était tant libre sur la forme, c'est-à-dire c'était une petite vidéo artistique, mais sur le fond aussi.
Il y a eu également un petit reportage sur les préservatifs sur le marché noir du préservatif à l'époque, une sorte de mise en garde sur comment, finalement, le marché du préservatif est parfois un peu défectueux et à l'époque, dans les années 80, c'était quand même le sujet hyper central. Donc il y avait un vrai rapport à l'information dans le sens où on se sentait informé après avoir vu une Assiette anglaise. On avait appris des choses en fait.
Anna Colin
Tout en étant dans ce cadre qui était ce club bourgeois du 16ème arrondissement, mais qui était subvertit parce que des femmes, parce que des personnes racisées, parce que des personnes qui ne correspondaient pas forcément au...
Charlotte Khouri
...à ce que ce club pouvait recevoir comme public habituellement, comme clientèle. Mais c'était aussi ça le clin d'œil de Bernard Rapp, c'était aussi sa liberté. Il avait très bien compris le monde du journalisme, l'enclave dans lequel il était censé se produire. Et pour lui, quitter Antenne 2, pardon le 20 heures d'Antenne 2 pour proposer une émission complètement déviante, à l'anglaise, sous couvert de “On va prendre l'esprit anglais”, ça lui permettait de ré-informer les gens sur des sujets qui lui tenait à coeur et avec un décalage qui était hyper, hyper malin en fait pour l'époque, c'était quelqu'un de très engagé, Bernard Rapp.
Anna Colin
Parlons du processus de ton projet. Tu as développé un programme d'ateliers. Tu peux nous parler de la forme de ces ateliers et des invité·e·s que tu avais en tête, de ce qui s'est passé à la suite de ça qui inclut un script, vraiment des conversations, une collaboration, un jeu collectif et qui finit avec un film.
Charlotte Khouri
Initialement, j'avais imaginé qu'on pouvait peut-être réfléchir à refaire une performance avec un plateau télévisuel, rejouer un peu les mêmes codes du plateau télé au sein de la Fondation. Le fait est qu'il a fallu changer en cours de route le format en raison des mesures sanitaires. Mais au départ, j'avais en tête de donner accès à chacun,, à ma manière à moi de jouer, c'est à dire j'écris un peu, je fabrique un peu, j'imite, je chante et donc du coup, j'avais pensé, par exemple à Thibaud Croisy pour l'écriture, qui est un auteur-metteur en scène et qui est également comédien, assez incroyable, qui a aussi un amour pour la télévision. On a à peu près la même génération, donc on a grandi avec la même télé. J'avais pensé aussi à Jeanne Moynot, par exemple, pour apprendre à écrire une chanson de rap, à chanter. Donc ça, ce sont des ateliers qui ont eu lieu parce qu'il y en a plein d'autres qui n'ont malheureusement pas pu avoir lieu. J'avais invité également Clémence de Montgolfier qui, elle, a fait un master, toute une recherche sur l'art à la télévision. C'était très intéressant aussi d'avoir un point de vue un peu scientifique en fait et historique sur les apparitions de l'art à la télévision.
On a eu en ouverture de séance, on a eu vraiment deux spécialistes, si je puis dire, de la culture générale, qui étaient Denis Ramond et Charles Coustille, qui sont, qui ont fait une thèse tous les deux sur la culture générale. Donc, on a joué. On a joué effectivement à Questions pour un champion à trente. C'était assez rigolo, mais c'était très intéressant de voir aussi... d'ouvrir sur leur rapport à la culture générale en tant qu'objet de segmentation, d’élitisme aussi parfois. C’est le mot que eux pouvaient employer.
Donc on a appris des choses sur la culture générale, sur l'art, à la télévision. On a essayé d'écrire, on a essayé de chanter. On a fabriqué aussi des maquettes de rideau de scène. Qu'est ce qu'on pourrait fabriquer ? Ce qu'on pourrait mettre dedans ? Et puis voilà, les ateliers ont malheureusement été arrêtés et à partir de là, je pense qu'on a tous eu un flou artistique à partir du mois de mars et pendant quelques semaines, il a fallu se demander comment on allait rebondir et donc dans mon coin j'ai commencé à écrire des scénettes. Et j'en ai écrit plusieurs sous des formats assez différents, comme on peut le voir dans le film,. J'ai proposé aux participant·e·s, par mail à distance, de digérer, remodeler, redécouper, sculpter ce texte en fait, et donc il y en a pas mal qui ont répondu à l'appel et beaucoup qui avaient envie d’interpréter, de jouer. Je pense que le coeur il était là en fait, vraiment l'envie de jouer.
Et il y a eu Bernard, qui est un peu le satellite du projet aussi, parce qu'il s'est mis un peu à côté de moi, finalement. Et lui, il a écrit des textes, ils ne voulaient pas trop passer à la caméra. Il avait vraiment suivi tous les ateliers depuis le départ et il était très envieux d'écrire. Et il m'a envoyé des textes absolument géniaux en anglais parce que les textes que j'ai écrit sont certains en français, certains en anglais et donc lui a pris le parti de l'anglais.
Et finalement, il y a Garush qui avait aussi suivi les ateliers, mais qui lui est passé à côté de moi puisqu'il m'a aidé sur la mise en beauté, la mise en beauté de tous les participant·e·s. - toutes les participantes car il y en a quand même 9 sur 10. Voilà donc on a réussi à tourner en plus dans des circonstances incroyables au Centre Wallonie-Bruxelles pendant quatre jours, et tout le monde a pu venir et ça s'est très bien passé. On n'était pas plus de 10. On a vraiment réussi dans des conditions qui semblaient pourtant impossibles.
Et pour la musique du film, pardon juste je termine, c'est aussi un copain qui voulait venir aux ateliers et qui n'a pas pu et du coup qui a trouvé sa place là dedans, qui a plus une culture musicale. Et voilà.
Anna Colin
La première fois que j'ai regardé la Culture Générale Générale, je t’ai dit j'ai trouvé ça très français. J'ai retrouvé certains des clichés de la culture française, comme par exemple, ce que l’on appelle la “masturbation intellectuelle”, la performance de la séduction, la figure de l'intellectuel mâle, reproducteur de privilèges, etc.
Et après en avoir discuté avec toi et après l'avoir de nouveau visionné, j'ai vu quelque chose de très anglais et de très anglophile. Déjà c’est inspiré par L'assiette anglaise d'une certaine manière, puis comme tu viens de l'évoquer, l'utilisation de la langue anglaise qui est très fréquente. On va en parler. Il y a aussi cette absurdité qui est inhérente à l'humour britannique.
On a aussi parlé de ce côté assez flamboyant du film et de l'esthétique Drag.
Charlotte Khouri
Alors pour commencer par l’esthétique Drag, tout le monde avait un peu la liberté d'agir sur ce texte, sur ce film pendant la production. J'étais carrément open à toutes les propositions qui soient, Garrush a proposé des faux cils, et quelque part, le faux-cils c'est le départ pour une sorte de costume qui a un degré de fausseté qui va se situer un peu plus au dessus que celle du simple maquillage ou du maquillage même scénique. On part dans quelque chose de faux. On le sait. Et moi, j'avais très envie de mettre des perruques aux gens parce que je trouvais que c'était intéressant d'avoir un rappel entre guillemets, dans la forme du cheveu, dans sa couleur, dans sa longueur, de ce qui pouvait être dit par les personnages. Que les personnages tels que je les ai écrits, je les ai un peu vu avec tel ou tel cheveux, telle ou telle perruque. Et donc la combinaison de ce maquillage, qui est totalement l'œuvre de Garush pour le coup (tout les maquillages sont de lui), combinés avec les perruques, ça fait effectivement une esthétique Drag, qui n'était pas à la base, forcément… ce n'était pas forcément ce que l'on cherchait le Drag, mais on cherchait effectivement ce qu'il y a de factice, peut-être et de flamboyant dans le Drag.
La chose la plus excitante pour moi c'est de garder une distance avec le costume et d'avoir un lien, une espace au féminin d'ailleurs. “Une” espace c’est contenu, un espace c’est ouvert et donc une espace contenu entre un costume et moi, c'est un lieu, c'est une salle d'échange, c'est un parloir, presque. Donc voilà, moi, j'avais besoin de ça, j'avais envie de cette distance, que les gens soient costumés et que ça se voit. Et Garush a accentué tout ça avec cette esthétique de maquillage nacré, de rouge, de vernis. Ça a été très précis, on n'a pas laissé au hasard le moindre détail.
Anna Colin
Juste pour rebondir, excuse moi. Donc cette idée de faux-vrai mais c'est aussi quelque chose qui est vraiment inhérent à la télévision comme médium aussi, on est constamment en train de créer, de recréer des environnements, de recréer le réel. Le plateau télévisé est une forme, c'est un espace qui n'est ni le réel ni le non-réel. C'est un espace autre.
Charlotte Khouri
Mon rapport à la télévision, c'est mon premier rapport au théâtre. Quand je regardais la télé petite, je sais que je communiquais avec la télévision parce que je ne comprenais pas pourquoi elle ne répondait pas, mais j'avais une...comme beaucoup d'enfants, je pense, mais j'avais un lien avec la parole qui était émise, qui m'était adressée pour le coup. Parce que j'entends quelqu'un qui parle dans le bloc, donc c'est que c’est pour moi. Et du coup, ce rapport à la télévision, comme théâtre, comme lieu du théâtre télé-communiqué. Et bien du coup, je pense que l'aspect télé communicationnel de cet art de la télé lui donne un format qui est hybride et qui se situe justement entre le théâtre et ce qu'on appelle le réel, on va dire où le non-théâtre, en tout cas. Et c'est là où c'est fourbe, presque, j'ai envie de dire parce que ça joue justement d'une fausse réalité avec le réel et avec la fausseté. Et je pense que c’est effectivement un couloir dans lequel circule énormément de degrés de fausseté, selon que tu regardes à 4 heures de l'après midi un Derrick ou à midi un journal.
Moi, je m'intéresse beaucoup à la programmation mentale, subtile, et je pense que la télévision est un lieu où se passe quelque part des émissions d'information qui peuvent flirter avec ton réel, qui flirte avec le tien, qui flirte avec le nôtre aussi, la question du nous. Et... et donc qui a besoin du théâtre pour exister. Du jeu premier, ce que j'appelle copier, imiter dans la voix, dans les gestes, dans... la mise en scène, en fait.
Anna Colin
Tu as un rapport au théâtre qui est très présent dans ton travail, mais aussi dans ta biographie. En regardant tes autres films, il est évident que tu adores jouer, que tu y prends un plaisir fou. J'ai beaucoup aimé dans un film de 2019, Investiture, Cœur d'argent où tu incarnes Jeanne Moreau. C'est vraiment un jeu impressionnant.
On voit que c’est un plaisir fou pour toi de jouer. Tu travailles dans une forme de théâtre alternatif, avec Anne Le Troter sur Théâtre chez l'habitant.
On peut commencer par ce rapport que tu as au théâtre. Et quelle forme ? Quelle place dans ta vie le théâtre prend, aussi bien celui qui tu produis que celui que tu consommes ?
Charlotte Khouri
Je crois que mon rapport au théâtre a vraiment commencé en salle de classe. Et du coup, je crois que c'est pour ça que ce film Culture Générale Générale se produit pour moi encore dans ma classe de CM2. J'ai encore ce décor en tête et je vois très bien quels sont les liens entre la télévision et la classe ou l'école, le spectacle entre guillemets de l'école où on est un public participatif mais il y a quand même un maître, il y a quand même quelqu'un sur scène qui est le prof et qui va nous nous envoyer des informations aussi toute la journée.
De fait, quand je rentrais chez moi -, voilà, j'imitais tous mes camarades de classe.
Et à partir de là, j'ai, je me suis sentie plus libre d'affirmer des choses qui étaient très, très profondes et qui ont à voir avec l'imitation et le jeu premier, c'est presque préhistorique, en fait, c'est de dire le Gilgamesh du théâtre, mais c'est ça. C'est vraiment copier, imiter, recopier, ré-imiter et chercher à être au plus près. Et ça, pour moi, effectivement, c'est la base du théâtre.
J'adore le théâtre parce que je pense que c'est un rendez vous réel. C'est un rendez vous qu'on ne peut pas manquer. Il y a vraiment une heure, ça commence à une certaine heure et on est vraiment dans le noir et on est vraiment là. Une certaine pénombre intérieure ou même alors la salle noire, c'est quelque chose qui m'inspire énormément. Je me sens à l'aise là-dedans. Et les personnages, pour moi, ce sont des masques en fait, comme la langue, comme la langue anglaise, comme la langue espagnole ou même l'arabe,. C'est vraiment des masques et je trouve qu'on se sent vraiment très protégé quand on est derrière un personnage ou quand on est derrière une langue. Et c'est ça le théâtre aussi. C'est savoir qu'on a un masque et qu’on peut se libérer entièrement puisqu'il y a ce masque qui nous protège.
Une langue, un mot, un son, une attitude, c'est déjà un masque, même s’il n’y a pas de mots. Une perruque, c'est déjà un masque.
Anna Colin
Alors les accessoires dans tout ça, ils ont quel rôle ?
Charlotte Khouri
Ah les accessoires… Par exemple, la cigarette, la fausse cigarette, pour moi ce sont des soutiens à la langue, ce sont des soutiens aux personnages.
Anna Colin
Mais tes accessoires c’est aussi… c’est les éléments les plus formels de ta pratique artistique on va dire, encore une fois qui est une expérimentation. Ils sont très simples mais en même temps très sophistiqués.. Est-ce que tu peux parler de ce rapport plastique parce qu’encore une fois il est très relié à la peinture ?
Charlotte Khouri
J’aime bien l’efficacité d’un objet, l’efficacité d’un accessoire efficacité mais pas dans le sens rentabilité c’est plus dans le sens ça condense assez d’informations pour devenir quelque chose qui éclate, qui marche très bien.
En fait, j’aime fabriquer moi-même aussi, j’aime ce qui est simple d’accès mais très, très sophistiqué. Et je pense que dans le jeu c’est pareil, j’aime que ce soit accessible de jouer, il suffit de copier une voix, et on commence par là. Et pour les accessoires c’est un petit peu la même chose, pour les peintures que je réalise c’est un peu la même chose. Je me laisse porter par mes envies assez simples et ensuite je vois ce que me raconte la peinture. Et les accessoires viennent après d’ailleurs, après les décors.
On a d’abord les décors et ensuite il y a les accessoires qui viennent ponctuer vraiment, ponctuer en fait vraiment le décor qu’il y a derrière.
Anna Colin
On a parlé du cadre global qui serait le plateau télé, on a parlé des éléments spécifiques, les accessoires et le décor qui viennent animer ce plateau télé. Parlons maintenant des scènes. parce que tous tes films sont des séries de scénettes, et là en l'occurrence il y en a un certain nombre qui répondent aux textes que tu as pu écrire soit toute seule, soit en collaboration avec les participant·e·s du projet. Est-ce que tu peux nous guider un peu à travers ces scènes ?
Charlotte Khouri
Elles ont été écrites les unes après les autres dans un certain ordre qui finalement n’a pas tant bougé que ça. J’ai réussi avec Bernard à trouver la place pour ses monologues à lui, on a réussi à trouver leur temporalité, leur vibration.
Les trois tableaux qu’on a fait avec Bernard, ce sont des petits-déjeuners parce que j’avais envie d’imager notre rapport à l’information, parce que c’est ce qui au fond sous tend l’idée du film par des rapports à l’aube, au réveil, à l’éveil. Donc il y a trois scénettes de petit-déjeuners, de sommeil encore sur une table de petit-déjeuner où y’a des livres, des ouvrages qui se mélangent aux aliments, à des figurines, à des portraits sur des pains de mie.
Il y a beaucoup de tableaux avec des couleurs primaires, qui sont un peu les points saillants de ce que j’ai pu digérer, moi, de mon rapport à la télé et à l'école. Comment entre les deux, c’est peut-être la culture générale qui fait un lien fantasmagorique entre les deux. On se retrouve donc avec ces couleurs primaires qui sont les gros boutons des personnages qu’on a peut-être déjà vu, qui ont traversé la télévision, la culture populaire, la culture cinématographique, visuelle, musicale mais qui en fait nous échappe car ne reprennent pas tout à fait les codes de la c, ou de la présentatrice ou du journaliste, il y a quelque chose qui échappe mais qui rappelle. Et c’est faire ce lien là, cette articulation là entre le passé, la culture télévisuelle que moi j’ai et ce futur que je connais pas. Cette propension à l’utopie, à vectoriser vers l’inconnu en fait, des personnages qui ne sont pas finis.
Anna Colin
On va revenir sur cette idée de culture générale. Finalement dans ton film, tu l’abordes de manière davantage anglaise en pensant à “savoir générale” plutôt que culture générale et dans la scène avec les 3 sorcières, le propos de la conversation est la relation intime entre savoir et pouvoir. D’un côté y’a le présentateur qui perd peu à peu son pouvoir, un pouvoir patriarcal et de l’autre les 3 femmes qui parlent d’émancipation
Revenons sur ces 3 femmes, elles s'intéressent à l'émancipation par le savoir et ce savoir, il est relié plutôt au champs du matriarcat, du féminisme et de la spiritualité et dans une autre scène, celle qui évoque un oiseau domestiqué, tu assimiles le savoir à la liberté ainsi qu’à la violence, encore une fois, on est dans le terrain de ce pouvoir émancipatoire du savoir versus du pouvoir comme outil de domination
Aussi il y a cette scène de recette de cuisine que je trouve intéressante car l’histoire, qui est construite par des hommes, est physiquement déconstruite et ingérée par des femmes.
Charlotte Khouri
C’est vrai que je n’ai pas évoqué le rapport à la recette de cuisine, c’est justement d’avoir un rapport différentiel à l’organisation qui est proposée dans la culture générale en tant qu’histoire, qu’on en ait ou pas, la culture générale on sait qu’elle existe, on sait qu’elle est là et que quelque part c’est un peu l’endroit du commun, l’idéologie du centre en fait. Et ça, ça m’intéresse beaucoup, l’idéologie du centre. c’est quand même un petit peu une matière première, c’est la structure de la culture générale qui m’intéresse. Qu’est ce qu’on y met dedans, qu’est ce qu’on choisit d’y mettre dedans, qu’est ce qu’on choisit de ne pas y mettre dedans, qui choisit, depuis quand, pourquoi ? Je n’ai pas les réponses, mais c’est juste que j’ai le temps en tant qu’artiste, j’ai le temps de m’amuser de ça. J’ai le temps d’essayer d’ouvrir les questions autour de cet objet là.
Ces questions je les mets un peu en scène en proposant de tailler effectivement la prise de la Bastille en lamelles ou les trous noirs supermassifs en petits morceaux et de les faire cuire à la poêle entre deux tranches d’Henri IV.
Anna Colin
Je crois que c’est une bonne façon de conclure. Merci Charlotte c’était un plaisir de converser avec toi, de revenir dans ce champ, dans ces champs plutôt de la culture générale, de la culture télévisuelle française des années 80 - ça faisait longtemps que je ne m’y étais pas plongée - et hâte de voir ton film projeté sur les ordinateurs…
Charlotte Khouri
… du monde entier.
Anna Colin
… du monde entier ! Merci beaucoup.
Charlotte Khouri
Merci beaucoup à toi Anna. Merci beaucoup beaucoup.
Anna Colin
A bientôt !
Charlotte Khouri
A très vite !