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Rebecca Lamarche-Vadel, director of Lafayette Anticipations and curator of the exhibition, talks to artists Jean-Marie Appriou and Marguerite Humeau about the genesis of Surface Horizon.

She discusses the new perspectives that this unprecedented collaboration has opened up, both in terms of their practice and their vision of the world.

Jean-Marie Appriou develops a reflection on sculpture by exploring materials such as aluminium, glass, bronze and clay in unconventional processes.

From his experiments of an alchemical nature emerge human, animal and plant figures which meet and complement each other, giving rise to different scenarios. This fantastic and marvellous universe draws on a variety of inspirations, from Egyptian mythology to Pre-Raphaelite painting, from science fiction literature to cinema and comics.

His work has been exhibited at Lafayette Anticipations in Paris, the Consortium Museum in Dijon, Central Park in New York at the invitation of the Public Art Fund, the Lyon Biennial, the Fondation Louis Vuitton, Paris, the Palais de Tokyo, Paris, the MAMVP, Paris, the Château de Versailles, the David Roberts Art Foundation, London, the Astrup Fearnley Museet, Oslo, the Vienna Biennial, as well as in the galleries of Jan Kaps, Cologne, Simon Lee, New York, and Eva Presenhuber, Zurich; C L E A R I N G, New York and Brussels.

Ranging from prehistory to imagined future worlds, Marguerite Humeau spans great distances in space and time in her pursuit of the mysteries of human existence.

Marguerite Humeau breathes life into lost things, whether they be lifeforms that have become extinct or ideas that have disappeared from our mental landscapes. Filling gaps in knowledge with speculation and imagined scenarios, her aim is to create new mythologies for our contemporary era.

She received her MA from the Royal College of Art, London, in 2011.

Solo exhibitions of her work have been held at Lafayette Anticipations, Paris (2021); Jeu de Paume, Paris (2020); Kunstverein Hamburg (2019); Museion, Bolzano (2019); New Museum, New York (2018); Tate Britain, London (2017); Haus Konstruktiv, Zürich (2017); Schinkel Pavillon, Berlin (2017); Nottingham Contemporary (2016); and Palais de Tokyo, Paris (2016).

Humeau’s work has been featured in numerous group exhibitions, including Lafayette Anticipations (2024); Kunsthalle Basel (2021); the Istanbul Biennial (2019); Centre Pompidou, Paris (2019); MAMVP, Paris (2019); the High Line, New York (2017); Château de Versailles, France (2017); Kunsthal Charlottenborg, Copenhagen (2017); FRAC Midi- Pyrénées, Toulouse, France (2017); Serpentine Galleries, London (2014); and Victoria and Albert Museum, Sculpture Gallery, London (2014).

Rebecca Lamarche-Vadel is director of Lafayette Anticipations, Fondation des Galeries Lafayette. In 2020 she was the chief curator of the Riga Biennial, "and suddenly it all blossoms", and director of the feature film based on the exhibition.

From 2011 to 2019, she was curator at the Palais de Tokyo where she curated, among others, the cartes blanches to Tomas Saraceno, ON AIR (2018-2019) and to Tino Seghal (2016). She has also curated the exhibitions of Marguerite Humeau, FOXP2 (2016), Ed Atkins, Bastards (2014), Helen Marten's Evian Disease (2013), or David Douard's Mo'swallow (2014), as well as the group exhibition Le bord des mondes(2015).

She regularly collaborates with international institutions, with the projects 72 hours of truce: exploring immediate signs (2013) and Bright intervals (2014) at MoMA PS1 (New-York), FOXP2 (2016) at Nottingham Contemporary, Landscape (2014) with the Stedelijk Museum (Amsterdam) or Des présents inachevés for la Biennale de Lyon (with Oliver Beer, Julian Charrière, Jeremy Shaw and Benoît Pype, 2013). In 2017, she was co-curator of the exhibition Voyage d'Hiver at the Château de Versailles.

Rebecca Lamarche-Vadel regularly publishes in French and international journals and catalogues, and participates in numerous seminars and juries in France and abroad (FIAC, French Pavilion at the Venice Biennale etc).

She has a degree in Art History, History and Political Science from the University of Paris I - La Sorbonne.

Transcript

Rebecca Lamarche-Vadel

Bonjour. Ravie de vous accueillir aujourd’hui pour une conversation avec les artistes Jean-Marie Appriou et Marguerite Humeau. Ce qui nous réunit aujourd’hui c’est l’exposition Surface Horizon qui s’ouvre aujourd’hui et pour quelques mois à la Fondation Lafayette Anticipations. Je suis Rebecca Lamarche-Vadel commissaire de l’exposition et directrice de la Fondation. Et je suis ravie aujourd’hui de pouvoir discuter avec vous mes cher·es ami·e·s de cette aventure, de cette odyssée qui prend place sous nos yeux et dans l’ensemble de la Fondation. Nous sommes ici dans sa cour intérieure mais on sait que le projet se déploie jusqu’aux cimes de l’édifice de Rem Koolhaas. L’idée était de pouvoir discuter de ce projet un petit peu hors-norme. Un projet hors-norme parce que monté en quelque mois qui vous a invité l’un·e et l’autre à revoir complètement vos pratiques que l’on connaît de sculpteurs et sculptrices particulièrement ici qui sont revisitées notamment au travers notamment de compositions végétales, au travers d'œuvres imaginées en argile et en terre. Bref, une exposition qui a essayé d’embrasser le sentiment de vulnérabilité, le sentiment de fragilité qui nous a embrassé ces derniers mois avec ce pari un petit peu fou : mais comment les artistes peuvent aujourd’hui réagir aux bouleversements et aux tremblements du temps, comment est-ce que dans vos pratiques vous pouvez renouveler notre compréhension du monde et du visible. Nous allons à travers de cette conversation essayer d’arpenter ces territoires.

Je vais peut-être commencer par vous demander comment tout a commencé, c’est-à-dire quelle idée a germé et comment cette exposition a commencé à se créer, à se monter. Marguerite, c’est parti d’une invitation qui t’a été faite il y a un an maintenant et puis on pourra ainsi parcourir l’ensemble de l’exposition et aller à la découverte des œuvres.

Marguerite Humeau

Le projet a commencé en effet juste au moment du confinement. A ce moment-là j’ai imaginé une sorte de scénario de catastrophe : on voyait les files d’attente devant les supermarchés et c’était la crise. Je me suis dit que si à un moment on avait plus rien à manger, les seules personnes qui pourraient survivre seraient les personnes qui connaissent les mauvaises herbes et qui savent s’en nourrir, donc j’ai demandé à une cueilleuse de m’éduquer, de m’apprendre à manger avec des mauvaises herbes. Donc c’est ce que j’ai fait pendant quelques semaines et c’est comme ça que le projet a commencé. Puis ensuite au tout début, il y a une longue période de recherche avec différent·e·s expert·e·s, des expert·e·s du sol, des paysagistes, des cueilleuses, des lycéen·ne·s du lycée d'horticulture de Montreuil et des spécialistes, mais aussi des mythes liés aux plantes, des théories comme la théorie des signatures - qui est une théorie ancestrale qui relie les formes des plantes, leurs dynamiques, leurs contextes au corps humain, ou à l’humain de manière plus général. Et donc c’est comme ça vraiment que le projet a commencé : tu nous as invité, tu nous as dit créons un jardin d’un nouveau genre. Jean-Marie ton défi c’était de concevoir des sculptures entièrement…

Jean-Marie Appriou

...sur place, en argile…

Marguerite Humeau

… et de mon côté de créer des installations végétales, en tout cas c’était l’idée de départ même si elle a évoluée. Et donc l’odyssée s’est construite vraiment au tout début avec les plantes, c’était vraiment prendre toutes les listes de plantes que l’on avait conçues avec tou·te·s ces expert·e·s et de raconter une histoire, l’histoire de notre rapport au sol. Et c’est comme ça que tout a commencé, et que Surface Horizon est apparu.

Rebecca Lamarche-Vadel

L’ensemble de l'exposition est finalement une invitation à retrouver, reconnaître, redonner de la dignité, de l’attention, de l’amour - osons le mot - à ce qui nous entoure, à ce que l’on a désappris à voir, à reconnaître, à regarder comme digne d’attention. On parle des mauvaises herbes qui sont donc le socle de départ et puis ces mauvaises herbes elles ont amenés à une réflexion sur le sol, en se disant que finalement nous sommes aujourd’hui dans un entre-deux, un entre-deux mondes. On voit l’ancien doucement s’éteindre, on regarde le nouveau apparaître sous nos yeux avec une attente anxieuse mêlée d’une curiosité insatiable, un peu comme ces deux personnages derrière nous de Jean-Marie Appriou. Et Surface Horizon, le titre de l’exposition, vient de l’idée de la cohabitation, de la fin et d’une renaissance, d’un début. Peut-être que tu peux nous en parler, ça nous permettra de parler de cette première, ce premier chapitre que l’on découvre dans tout le rez-de-chaussée de la Fondation entre Conquête cette installation d’êtres végétaux avec l’oeuvre de Jean-Marie Murmur, mais aussi avec Lévitation, une oeuvre qui se déploie dans l’ensemble du rez-de-chaussé et qui vient prendre - reprendre - le pouvoir, et l’espace de la Fondation.

Marguerite Humeau

Surface Horizon c’est un terme technique lié au sol. Je pense qu’on avait un désir profond de créer un mythe pour notre ère contemporaine et de réfléchir à qui sont les héros / héroïnes de ces mythes, quelles sont les nouvelles figures mythologiques qui peuvent nous accompagner dans cette transformation. Et donc le surface horizon qui est un terme qui vient du sol semble être cet endroit qui va donner naissance à toutes ces formes et ces idées. Surface horizon c’est une couche de… une couche sous-terre, souterraine, qui se situe juste en dessous de l'horizon organique, donc l’horizon organique c’est la couche que l’on voit lorsqu'on se promène dans la nature, dans les parcs, c’est là où toutes les matières mortes se déposent à la surface et donc c’est la couche apparente, visible; et juste en dessous on a le surface horizon qui est invisible lui et qui contient toutes les matières mortes qui viennent y dormir, s’y reposer, y sommeiller parfois pendant des jours, parfois des semaines, des mois, des milliers d’années, parfois des millions d’années.  Certaines de ces matières se transforment en matière minérale et d’autres redeviennent vivantes et rejaillissent à la surface de la terre. Donc c’est comme un endroit mythique dans lequel on rencontre des morts et des vivants, et des êtres qui sont certainement flottants entre ces deux états.

Rebecca Lamarche-Vadel

Ça nous permet de parler de tes œuvres Jean-Marie, Murmur et Fire on the Sea que l’on découvre au rez-de-chaussée de l’exposition. Est-ce que tu peux nous parler de ces personnages ? On sait que dans ta pratique il y a souvent des êtres qui traversent un peu la mythologie et qui traversent nos imaginaires et nos consciences, on connaît ton amour pour Hadès, Ophélie et ces nombreux personnages. Ici ça semble être les personnages qui pourraient habiter ce nouvel imaginaire contemporain dont Marguerite nous parlait. Est-ce que tu peux nous raconter un peu l’histoire de ces pièces ?

Jean-Marie Appriou

Je les appelle les plongeuses, la pièce s’appelle Murmur mais…  Ce que j’aime avec cette pièce c’est vraiment quand il y a eu cette proposition de… que tu nous as faite Rebecca, qu’on a commencé à discuter avec Marguerite, il y avait ces pièces qui étaient comme ça en une sorte de lévitation entre un entre-sol : il y avait un monde souterrain, sous l’eau, aquatique, subaquatique et un monde hors de l’eau dans lequel jaillissait comme ça de... Et c’était aussi - pour raconter une petite histoire - quand tu es venue à l’atelier j’étais en train de faire ces pièces là et tu les as vues en terre, tu les as vues quand elles étaient en train de les modeler et c’est là que tu m’as proposé, tu m’as dit mais ces pièces là après elles deviennent du bronze, elles partent en fonderie, elles ont une autre vie, et après qu’est-ce que deviennent ces terres ? Elles vont se craqueler, elles vont se détruire. Et là tu m’as dit, tiens on pourrait faire quelque chose de ça, de parler justement de ces terres... On les a appelé les fantômes, qu’on ne voit pas, ce sont vraiment les originaux que j’ai travaillé vraiment avec mes mains. Donc c'était aussi voilà un rappel du moment où l’on a eu ce déclic là au tout début du projet, donc on voulait les placer là comme des sphinx, des gardiens qui nous accueillent, et qui ont ce regard en verre qui accueille le spectateur·rice d’un côté et de l’autre pour rentrer dans la Fondation.

Rebecca Lamarche-Vadel

Absolument, et commencer cette odyssée. Donc l'odyssée nous emmène en 9 chapitres dans la Fondation. L’idée était vraiment d’imaginer une exposition comme un récit initiatique. L’idée que le visiteur, la visiteuse, se retrouve plongé·e complètement dans un autre monde possible. Et donc on découvre au premier étage la salle des Oracles, des Oracles du désert. Est-ce que Marguerite tu peux nous raconter, nous introduire à cette salle, les présences qu’on y découvre et puis Jean-Marie nous raconter cette folle et cette magnifique danse que tu y déploies également.

Marguerite Humeau

Dans les Oracles du désert on découvre une grande serre qui nous fait penser comme un mirage ou une sorte de boule de cristal, et on y voit des fantômes, des fantômes de plantes apparaître à la surface. Ils semblent apparaître mais aussi parfois se démultiplier comme s’ils appartenaient à différents espaces et différents temps au même moment. D’une part d’un côté de la serre, on entre dans un désert infini et on fait la rencontre d’oracles, donc ces fameux oracles du désert qui sont des plantes que j’ai sélectionné car elles sont bio-indicatrices de sols en passe de devenir infertiles, et donc inhabitables par l’Homme. Donc par exemple une des plantes parle de la pollution des sols par l’industrie chimique, d’autres parlent de sols sur lesquels des engins trop lourds sont passés et repassés, etc, etc. Donc on rentre en dialogue avec ces oracles qui sont comme les grands sages du désert finalement, qui nous annoncent l’impasse et le vide qui nous attend. Et de l’autre côté, on perçoit la présence flottante d’un·e être humain qui fait partie de cette oeuvre qui est une personne clairvoyante, dont la présence navigue dans l’exposition, pendant tout le temps de l’exposition, dans tous les espaces. Et elle, à l’inverse, elle nous parle de l’infini des possibles, donc de tous les futurs qui sont encore ouverts pour l’Homme, donc loin d’être dans une  impasse, de nombreux potentiels sont encore à explorer. Et donc c’est cette personne qui les incarne, et qui certainement nous met en contact avec notre surface horizon, c’est-à-dire notre vie intérieure qui va nous aider à voir dans la vie des plantes, dans leurs modes de communication, dans leurs rapports les unes aux autres, des choses qui sont encore certainement en sommeil en nous.

Rebecca Lamarche-Vadel

L’allégorie, la métaphore des sols, l’idée de cette activité qui joint les mondes qui s'éteignent et les mondes à naître, c’est évidemment une manière pour cette exposition de poser la question de notre humanité. De quel type d'humanité on peut incarner, comment elle se vit, comment elle se déploie. Y répondent les autres forment d’humanité qui sont déployées par Jean-Marie, ces humanités amphibies - si je puis dire - qui vont d’un monde à l’autre en permanence, qui sont notamment cette tribu, cette communauté des Amas...

Jean-Marie Appriou

Les Amas oui. Je me suis inspiré des amas, les amas se sont des plongeuses au Japon qui plongent en apnée très profond et elles sont connues pour pêcher des perles, mais en fait à 90% de leur temps elles pêchent des poulpes, des algues. Et du coup moi j’étais parti sur ces amas qui plongent et qui vont cueillir des algues, des plantes sous-marines. J’ai tout fait sur place pour que justement ces plongeuses jouent avec les colonnes, l'architecture du lieu. Et puis il y a une autre pièce à cet étage qui parlent des semeur·euse·s, il y a des roseaux qui semblent capter des ondes et qui se diffusent à la surface de l’eau, il·elle·s sont un peu entre deux mondes, avec le visage à moitié immergé, ils prennent racine. Avec Marguerite on discutait d’un mythe qui serait le·la semeur·se, le·la cueilleur·se, le·la glaneur·se. Et après il y a une autre pièce avec une grande barque, qui est autour des glaneur·se·s, donc je voyais ça comme les glaneur·se·s comme un vaisseau, une volonté d’aller de l’avant pour aller chercher des choses, d’être toujours en mouvement. Ce sont des choses qui ont été semées, récoltées, certaines ont été oubliées, que ce soit des fleurs, des aliments, des légumes. Et donc il y a cette volonté de se mettre en mouvement pour aller les récolter, les regarder. Donc je trouvais que… L'Humain est un·e cueilleur·se, un·e semeur·se, un·e glaneur·se, il n’y a pas qu’une manière d’être et donc on passe je crois dans cet étage d’un état à un autre.

Rebecca Lamarche-Vadel

On y étudie beaucoup notre relation au monde, notre relation à tout ce qui nous entoure et la manière avec laquelle on vient le cueillir, ou pas d’ailleurs. Et c’est ce qui nous emmène vers l’étage supérieur dans lequel les œuvres nous invitent plus à aller à la rencontre de nos mondes intérieurs plutôt que les mondes extérieurs mais en étant toujours accompagné, aidé par nos acolytes, nos nouvelles collaboratrices que sont ces fameuses plantes qui ont guidé l’ensemble de la réflexion autour de l’exposition. Ces oeuvres ce sont des stèles très inspirées de l’art funéraire, de la figure du gisant notamment, d’une forme de romantisme aussi qu’on connaît dans l’histoire de l’art, très lié au culte de la mort, l’idée de la disparition qui rend cette disparition impossible parce qu’on lui donne un monument qui la rend à tout jamais visible. Et sauf que là ce que l’on vient honorer, célébrer ce sont des émotions. Est-ce que Marguerite tu peux nous parler de ces fameuses émotions redécouvertes, excavées si l’on peut dire au travers de ces stèles, et Jean-Marie ensuite nous parler de ton interprétation aussi et la manière avec laquelle ces émotions t’ont enivrées et ont données les oeuvres qu’on y découvre, qui sont des œuvres à quatre mains c’est très important, des collaborations et c’est extrêmement touchant aussi parce que ces oeuvres... On découvre que toute l'exposition se pose la question du territoire, de nos perceptions, tentatives de les rendre plus vastes. Mais vous avez aussi joué le jeu en tant qu’artistes, c’est-à-dire que là on découvre des œuvres qui mettent en péril l’idée de l’artiste seul·e, unique, individuel.le pour accompagner l’idée d’un cadavre exquis, d’une œuvre à quatre mains dans laquelle les idées, les formes, les gestes se répondent. Parlons peut-être des émotions puis ensuite de la manière avec laquelle vous avez pu produire ces œuvres et rendre hommage à ces fameux états intérieurs à redécouvrir.

Marguerite Humeau

Donc on a développé quatre stèles, donc quatre émotions différentes. La première c’est Ambedo. Donc Ambedo c’est la sensation qu’on éprouve quand on se noie dans le nuage de crème de son café ou quand on se rend compte que ça fait dix minutes que l’on regarde les gouttes de pluie couler à la surface d’une vitre en pleine tempête ou qu’on se plonge dans le mouvement des peupliers pris dans une bourrasque. Donc ce sont des micro-détails de la vie qui nous connectent au cosmos. Donc pour Ambedo j’ai pris la figure de la botryche, qui est la fougère lunaire qui porte dans ces feuilles les cycles de la lune, de la pleine lune et ensuite tous les cycles qui sont déployés. Et je l’ai élargie, enfin agrandie et j’en ai fait un espèce de personnage lunaire, presque un·e cosmonaute qui semble vouloir s’envoler.

Jean-Marie Appriou

Quand tu m’as proposé justement ton interprétation de ces plantes et de ces fleurs comme tu les as dessinées, j’ai passé du temps avec tes dessins et j’ai voulu réinterpréter ou redonner ma lecture de ces formes. Pour cette stèle là j’y ai vu un envol de criquets, d'insectes que j’ai associé comme ça à cette plante. Et donc je l’ai modelé en terre et puis j’ai laissé un espace pour que ce soit vraiment quelque chose qui accueille. Voilà donc c’est vraiment une collaboration et ça c’était vraiment l’une des belles réussites.

Marguerite Humeau

Ensuite c’est Proia. Proia c’est la tristesse et le deuil de la fin d'un cycle, ou d’une ère, ou d’une expérience et la joie simultanée, l’excitation simultanée de la naissance d’un, du nouveau. Pour Proia j’ai choisi le Peigne de Vénus, le Scandix, qui est une plante qui ressemble à des mains que j’ai agrandi et j’ai imaginé qu’elle devenait comme une sorte de Pietà végétale. Ces mains sont comme si elle portait un être invisible, elle porte un être peut-être qui appartient au cycle d’avant et en même temps ce sont des mains pleines d’espoir, ouvertes vers l’extérieur et elles sont connectées à deux formes qui ressemblent à des cœurs, qui viennent de la Bourse à pasteur qui porte en elles des fruits qui font 5mm de haut que j’ai grossi, qui ressemblent à des petits coeurs formés comme des origamis, utilisés comme un tonique pour le cœur.

Rebecca Lamarche-Vadel

Ca c’est important aussi, c’est que les plantes auxquelles tu rends hommage, auxquelles vous rendez hommage sont des plantes qui nous permettent à ces états, aux fameuses émotions qui sont nommées dans ces stèles. C’est l’idée d’un compagnonnage entre l’humain et le non-humain et d’une interdépendance magique quelque part qui nous permet d’accéder à d’autres états de conscience. On continue ensuite dans notre parcours pour la troisième stèle.

Marguerite Humeau

Donc la troisième stèle c’est Solaris. Donc Solaris c’est la sensation d’être, donc Solaris c’est la sensation d’être à la fois très fort, de se sentir très, très fort, à la suite d’un bouleversement et à la fois extrêmement fragile. Donc à la fois extrêmement vulnérable et extrêmement solide en même temps. Pour Solaris j’ai pris comme complice la Prêle des champs, qui porte comme signature de la colonne vertébrale, donc elle semble à la fois extrêmement structurée et ancrée dans le sol comme une colonne vertébrale et en même temps elle est minuscule, enfin elle est minuscule, elle est frêle. Donc elle semble à la fois extrêmement fragile malgré sa colonne.

Jean-Marie Appriou

Moi je l’ai associée cette plante, enfin j’ai vu un élément air et puis donc je voulais des plumes et puis une structure de cou, donc j’ai associé un ensemble de cygnes, comme celle d’avant j’avais associé des mandrills, des singes comme ça, qui ramassent des graines et qui les mangent la main devient l’outil, où ils sont en train de cueillir les fruits dans l’arbre. Donc là pour celle-ci j’ai associé quelque chose de beaucoup plus aérien et associé à l’élément air. Quelque chose de voilà, quelque chose qui s’envole.  

Marguerite Humeau

Et la dernière stèle c’est Xeno. Et donc Xeno c’est la plus petite unité de connexion humaine, donc c’est un regard échangé avec un passant dans la rue, ou un éclat de rire devant une coïncidence étrange. Et pour Xeno j’ai choisi la, une minuscule partie d’une plante qui s’appelle l’himantoglosse à odeur de bouc qui a des propriétés aphrodisiaques on pense. Et donc les fleurs que j’ai utilisées se forment par millions et dansent comme un ballet et se frôlent constamment sans jamais vraiment s’enlacer.

Jean-Marie Appriou

Et j’y associe justement les murènes, par rapport à ce que tu viens de dire. C’est que les murènes qui font une sorte d’ensemble, qui se frôlent, qui font un nœud, mais sans jamais se nouer, qui est toujours en mouvement, et que j’associe à l’élément eau. Donc il y a cet entrelacs, cette bande de moebius, ce signe de l’infini fait par les murènes et qui viennent comme ça, mettre en mouvement ces deux fleurs. 

Rebecca Lamarche-Vadel

Et l’ensemble de l’exposition, on en parlait, vient vraiment toucher de la manière la plus sensible possible l’idée de la fragilité, même dans la matière utilisée. La plupart des œuvres, Jean-Marie, que tu as produites dans cette exposition sont en terre, elles sont en vie. Évidemment on a aussi, Marguerite, tes installations, sculptures, performances végétales et elles nous invitent donc à vivre à un autre rythme. On sait que cette exposition elle va vivre, vivre une vie qui est faite de déclin et de renaissance

Jean-Marie Appriou

Oui, de l’eau quoi. Ça sèche, on humidifie les plantes, mais on sèche la terre. Enfin c’est vraiment une. Il y a une histoire de 

Rebecca Lamarche-Vadel

Une histoire qui est vraiment très en lien avec d’autres rythmes que ce qu’on connaît et qui sont ceux traditionnellement utilisés dans les expositions et dans l’histoire de l’art récente, de l’objet d’art fixe, figé, immobile, de la conservation qui est une de nos obsessions. Là, au contraire on a décidé d’épouser voilà, l’incontrôlable, immaîtrisable, à tel point que on a de fait, un chapitre qui est dédié à un autre temps que celui que nous souhaitons imposer sur le monde. 

Rebecca Lamarche-Vadel

Nous sommes ici dans une des dernières salles de l’exposition. Une salle dédiée à d’autres rythmes, d’autres mouvements, d’autres compréhensions du temps. Nous sommes entouré.e.s de l'œuvre de Jean-Marie Appriou le bas-relief derrière nous, le pendule tellurique, et puis ici une architecture extrêmement singulière, exceptionnelle, imaginée par Marguerite Humeau autour du magicicada. Le magicicada c’est une figure qui est très présente dans cette exposition aussi dans les réflexions de Jean-Marie sur les insectes et d’autres temporalités. Est-ce que Marguerite, tu pourrais nous introduire à cette figure assez extraordinaire qu’est le magicicada et à ses pouvoirs absolument incroyables dont tu t’es inspiré et dont Jean-Marie s’est inspiré également.

Marguerite Humeau

Le magicidada c’est un criquet qui dort pendant 17 ans sous terre, dans le surface horizon et qui tous les 17 ans se réveillent par millions, se mettent à chanter, des coeurs incroyables de millions de magicadas. Ensuite ils se reproduisent et ils meurent, tout ça en l’espace de deux mois. Ils meurent et leurs larves retournent dans le surface horizon et ils sommeillent à nouveau pendant 17 ans. Donc en découvrant cette figure je me suis dit que peut-être on avait enfin trouvé la clef du surface horizon, de notre odyssée. Et que finalement on devrait peut-être finalement tous se transformer en magicicada et se connecter à cette échelle de temps beaucoup plus vaste. Donc le pavillon est conçu comme un isolation tank, comme si on entrait dans le surface horizon, qu’on devenait un magicada après avoir sommeillé pendant 17 ans. Et à l’extérieur j’ai imaginé comme un battement d’aile, comme un être en pleine  métamorphose. Et le pavillon est recouvert de cette matière qui semble aussi d’ailleurs se  transformer à chaque seconde, qui vient de l’industrie de l’énergie solaire, qui est une des matières les plus absorbantes au monde, et qui a la particularité chacune des empreintes de nos mains ou d’une limace qui passe dessus en traces dorées. Donc qui viennent former des constellations et les empreintes de son histoire.

Rebecca Lamarche-Vadel

L’idée de l’ensemble de cette salle, c’était aussi donc de repenser la manière dont nous percevons le temps. Un temps qu’on a largement transformé et modifié avec l’arrivée du quartz. Est-ce que tu peux peut-être nous parler de ta réflexion là-dessus, sur la quantification du temps qu’on connait, et celui derrière lequel on court en permanence aujourd’hui ? Quel est-il ? Pour ensuite aborder le bas-relief de Jean-Marie, qui nous invite, comme son nom l’indique, le pendule tellurique, à , à revivre d’autres rythmes, qui sont les rythmes de la terre, ou des rythmes qui sont là en naissance dans nos sols.

Marguerite Humeau

Donc quand je faisais mes études sur les plantes, je m’intéressais à leur mode de communication, à leur mode d'interaction et cætera et il y a des choses qui me fascinaient, c’était leur rapport au temps. Puisque ce sont des échelles de temps qui sont complètement différentes de celles que nous, nous portons en nous, ou en tout cas sur lesquelles on se synchronise.Je cherchais le moment où on a inventé le temps, le temps artificiel. Et j’ai l’impression que c’est au moment de l’invention du Quartz qu’on a industrialisé le temps. On l’a rendu artificiel et il est devenu un outil technologique qu’on peut répéter à l’infini et que surtout on peut accélérer. Donc, d’où l’envie de retrouver un être sur terre comme le magicicada qui peut, qui pourrait devenir notre nouveau quartz.

Rebecca Lamarche-Vadel

Ou des plantes qui sont elles-mêmes reliées à des astres et donc au, au temps astronomique.

Marguerite Humeau

Oui, donc toutes les plantes qui forment cette, ce monde, sont liées au soleil et à la lune. Donc en astro-médecine, les plantes qui ressemblent à des soleils comme les Pissenlits par exemple sont liées au cœur, et les plantes argentées comme la Bryone par exemple, ou la Scille Maritime, qui ressemblent d’ailleurs parfois à des étoiles filantes, sont liées à la lune et donc au cerveau.

Rebecca Lamarche-Vadel

La lune et le soleil Jean-Marie, qui sont parmi les personnages principaux de ce monumental bas-relief qui est derrière nous et qu’on découvre et qui est inspiré notamment de William Blake, mais aussi des Symboliste, tu peux nous en parler ?

Jean-Marie Appriou

Alors voilà je voulais créer un grand bas-relief, qui est aussi voilà, Le surface horizon c’est presque la définition d’un bas-relief. C’est que c’est une surface dans laquelle on projette un horizon, enfin l’impression d’un horizon sur très peu de centimètres comme ça, donner une perspective. Et je voulais donner une perspective à ce niveau, donc pour le pavillon de Marguerite. Et donc le soleil devait apparaître, la lune comme un pendule qui oscille dans le ciel. Les premiers nuages, le soleil qui réchauffe l’eau, cette soupe primitive qui se, de là où la vie émerge. Les fumeurs noirs, les failles océaniques, les continents qui émergent. Enfin je voulais rendre hommage à tous ces, enfin tout le sol et la terre, l’argile qui commence là à craquer, qui est comme, qui nous donne là une temporalité de la terre et de l’argile. Donc voilà, il va continuer à évoluer, il va continuer à se craqueler, et il y a une sorte de comme ça, c’est monumental autant c’est fragile.

Jean-Marie Appriou

En fait j’aime beaucoup cette, ce poème de William Blake, vraiment ça m’a marqué, c’était le : Quand les portes de la perceptions seront nettoyées, l’homme verra les choses comme elles le sont vraiment, infinies. Donc il y avait vraiment cette idée de passer une porte.

Rebecca Lamarche-Vadel

Cette idée d’infinité de mondes possibles on la retrouve dans la dernière salle. Dans la salle qui s’appelle Surface Horizon, dans laquelle on découvre en fait toutes vos esquisses, on sort d’une exposition un peu hallucinatoire, qui nous a plongé dans une multitude de visions, de sensations, d’apparitions, et puis on découvre comment tout ça finalement a grandi, a émergé, a explosé presque de dessins, d’esquisses que vous avez tous les deux réalisez pour penser ce projet. On a d’abord les storyboards de Marguerite, qui nous accueillent. Qui sont comme autant de scénarios possibles sur des mondes possibles. Ce serait intéressant que tu puisses nous parler de cette méthode de travail, et puis Jean-Marie, tes esquisses également, tes ébauches qui sont là, des sculptures qui sont toujours en argile, avec leur fragilité, qui vont décliner et qui sont des espèces d’études, des croquis, qui nous rappellent Rodin d’ailleurs, cette idée d’être dans la recherche, une recherche qu’on a vu se déployer dans l’ensemble de l’exposition. Peut-être Marguerite tu peux nous guider au travers de ces storyboards, et puis ensuite Jean-Marie de tes œuvres.

Marguerite Humeau

Donc les storyboards sont des dessins que je crée très rapidement à tous les moments où je développe les odyssées, et qui me servent à déployer toutes les visions possibles de l’exposition, et qui évoluent constamment et dans lesquelles on découvre toutes les idées qui ont été oubliées, toutes les idées qui parfois sont devenues hybrides, toutes celles qui formaient dix chapitres et qui n’en forment plus qu’un. Et je pense qu’on y comprend toute la complexité et aussi les détails de tous les êtres convoqués pour le parcours. Et aussi il y a une série de dessins au pastel, qui sont comme des zooms dans certains moments des storyboards, qui sont réalisés de manière, qui sont des grands dessins, et dans lesquels j’ai superposé tous les fantômes de ces visions qui deviennent du brouillard, sur lesquelles je réécris ces nouveaux mondes. Donc ils nous donnent à voir comme des espèces de, oui c’est ça, des espèces de visions, d’environnements, de mondes qu’on aurait pu développer mais qu’on a pas vraiment, qu’on a pas développés physiquement.

Jean-Marie Appriou

Comme les croquis. C’est à dire que je pars d’un pain de terre et je le modèle, et c’était aussi voilà, un peu les recherches pour les stèles, les singes, les murènes, auxquels j’ai associé un œil en verre, qui étaient aussi les yeux qui n’ont pas été choisis poura l’exposition, en tout cas pour les pièces du premier étage. Et il y a l’œil de la plongeuse, il y a l’œil de l’aveugle qui est associé à la fleur de pavot, il y a le singe qui garde un œil comme ça qui est comme une boule de cristal. C’était aussi voilà, c’était mes premiers, un peu comme ça, mes premières idées, qui sont figées juste dans un pain de terre et associées à un oeil en verre, qui sont des microcosmes et en même temps quand on s’y plonge, ça devient des, on a l’impression de voir une galaxie, ou un univers enfermé dans une goutte d’eau.

Rebecca Lamarche-Vadel

Voilà, c’est la dernière salle de l’exposition, qui se termine sur autant d’ébauches de mondes possibles, de mondes à naître. Je crois que cette exposition est vraiment une ode à l’idée de la renaissance, à l’idée de construire sur les ruines d’un monde qui disparaît et puis d’accueillir celui qui vient. D’inviter aussi évidemment celles et ceux qui parcourent cette exposition à se saisir de cette responsabilité, de prendre son imaginaire, de le laisser vivre, de le laisser faire grandir, faire croître d’autres mondes possibles qui nous accueillent peut-être là, sous nos pieds. Merci.

Marguerite Humeau et Jean-Marie Appriou

Merci. Merci.