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Mercedes Dassy nous propose une Warm Up Session au plus proche de ses pratiques dansées en période de confinement. Il sera avant tout question de décentrements : un chez-soi transformé en lieu de mouvements, geste militant et intime.

Nous découvrirons le regard renouvelé de la chorégraphe avec une pratique quotidienne de sa danse livrée à elle-même et dénuée de tout objectif de création.
 
Cette invitation au mouvement est ensuite suivie d'une discussion avec Madeleine Planeix-Crocker, curatrice du cycle des Warm Up Sessions.
 
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Les Warm Up Sessions partent d'une volonté de découvrir, d'incarner et d'analyser collectivement les techniques de training dans la performance. Les Sessions ont pour ambition de positionner l'échauffement comme une étape essentielle de la création performative. Ainsi, le training est compris comme un point de départ de la production chorégraphique, théâtrale et de la performance, un processus à la fois de partage et de réflexion. En partant d'invitations inclusives, les Sessions cherchent à déconstruire les silos érigés entre le mouvement etla pensée. Le cycle propose un espace de pratique et une plateforme de discussion pour toutes et tous, élaboré de concert avec les invité·e·s. Dans ce terrain d'expérimentation, les publics deviennent des participant·e·s acti·f·ve·s, donnant naissance à un event éphémère et récurrent.
© Chloé Magdelaine
© Chloé Magdelaine
Mercedes Dassy est danseuse et chorégraphe, active dans les domaines de la danse, du théâtre, de la performance et de la vidéo.

En 2009, elle intègre S.E.A.D. Salzburg Experimental Academy of Dance et suit un Summer Program à la Tisch School of Art/Dance Department – New York University. De retour à Bruxelles depuis 2012, elle travaille avec Voetvolk/Lisbeth Gruwez (AH/HA), Compagnie3637 (Eldorado, L’enfant qui), le Collectif En Transit, Matej Kejzar (raive), Cie PHOS/PHOR (La compatibilité du caméléon), Lucile Charnier (L’Appel du Mutant), MUGWUMP, Notch company/Oriane Varak (As a Mother of Fact) et Leslie Mannès, Thomas Turine et Vincent Lemaître (FORCES).

Depuis 2014, Mercedes Dassy a également entamé son propre travail avec PAUSE, solo créé à l’occasion de la Museum Night Fever 2014. Elle crée ensuite i - c l i t , présenté à La Balsamine dans le cadre du festival Brussels, dance ! 2018, et nominé au Prix de la critique 2018 ; TWYXX, une collaboration avec le comédien Tom Adjibi en 2019 ; et B4 summer, solo présenté en 2020 au Vooruit (Gand), au Théâtre de Liège pour Pays de Danse, à la Balsamine (Bruxelles) et sur MARS (Mons).

En traitant des sujets tels que la nouvelle vague féministe ultra-sexuée-connectée, l’engagement relationnel dans la société consumériste ou le rapport de sa génération à l’engagement, le travail de Mercedes Dassy se déploie sur une base d’une triangulation chorégraphique, politique et esthétique.

En juillet 2018, Mercedes Dassy s’est vue attribuer le prix Jo Dekmine récompensant les créations et artistes prometteu.r.se.s par le Théâtre des Doms.

Madeleine Planeix-Crocker est curatrice associée à Lafayette Anticipations.

Madeleine est également co-directrice de la Chaire "Troubles, Alliances et Esthétiques" aux Beaux-Arts de Paris et membre permanent du Conseil Scientifique de le Recherche de l’ESAD de Reims.

Diplômée de Princeton University en études culturelles, Madeleine a obtenu un Master spécialisé en Médias, Art et Création de HEC Paris et un Master 2 à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Elle y a porté un projet de recherche-création avec l’association Women Safe, où elle mène désormais un atelier de théâtre et d’écriture créative. Madeleine poursuit actuellement une thèse à l’EHESS (CRAL) autour des pratiques du faire-commun en performance contemporaine. 

Elle pratique la danse et le théâtre depuis l’enfance.

Transcription

Madeleine Planeix-Crocker

Bonjour Mercedes !

 

Mercedes Dassy

Salut ! 

 

Madeleine Planeix-Crocker

Entre articulation et désarticulation, je voulais commencer par te demander quelles sont les pratiques qui traversent ta danse, tes danses, et que tu as souhaité partager avec nous aujourd’hui pour cette Warm Up session.

 

Mercedes Dassy

Je pense que ma danse c’est un peu un mélange de toutes les pratiques que j’ai traversées dans ma formation. J’ai commencé à danser très tôt, depuis mon enfance on va dire. Je suis passée par la danse classique, la danse contemporaine, le hip-hop, l'afro, le reggae - enfin un peu plein de styles différents. Et je crois qu’il y en a que je ne pratique plus en tant que tel aujourd’hui mais c’est resté quoi, c’est là. Et un peu dans toutes ces différentes pratiques là il y a un sens de l’articulation et de la désarticulation qui en effet est hyper présent dans ma danse, que je ne conscientise pas tellement je crois, c’est en en parlant avec toi par exemple que je me dis oui c’est vrai. Enfin je le sais d’une certaine façon mais je ne le sais pas aussi d’une autre. Mais c’est un fait oui.

 

Madeleine Planeix-Crocker

On en a aussi pas mal discuté de l’impact du confinement sur ta danse, et notamment de cet enjeu de décentrement, du travail d’une pratique dans le souci du développement d’une technique versus pour répondre à l’injonction d’une création. Et je voulais que tu reviennes éventuellement sur cette tension et l’éclairer.

 

Mercedes Dassy

C’est vrai que mon sens de la pratique, je pense qu’il a beaucoup évolué dans cette dernière année, parce que finalement ma pratique se trouvait à des endroits ou de training, d'entraînements, de formation ou... plus vraiment du coup pour des créations. Donc où j’entraîne des choses particulières pour créer de la matière pour des scènes ou pour si je travaille pour un ou une autre chorégraphe - pour servir l’idée de quelqu’un d’autre. Ou si je travaille pour moi pour créer la matière dont j’ai besoin pour faire ma pièce… Et là vu qu’on s’est retrouvé confiné, la question de ma pratique s’est reposée aussi, et en fait j’ai commencé à un peu plus danser chez moi, ce que je ne faisais pas en fait. Et là j’ai recommencé… en fait j’ai toujours fait ça, mais par ça j’entends danser mais juste pour danser pour le plaisir de danser sans justement le faire pour une trajectoire précise. Je l’ai toujours fait mais sans vraiment le valoriser je crois ou c’était toujours un truc que je faisais pour m’échauffer en tournée avant de monter sur scène ou dans des moments où je devais improviser ou quoi dans des créations. Mais le faire vraiment juste pour le faire et pour capter aussi c’est quoi ma danse, comment je l’articule justement et qu’est ce qui me fait plaisir à moi de travailler ; c’est un peu plus revenu dans cette dernière année; Et puis je me suis retrouvée dans d’autres cadres, un peu dans des laboratoires entre potes, entre artistes où on s’échange nos pratiques et où la question de la pratique est vraiment aussi revenue sur la table avec des groupes différents et voilà. Donc j'ai aussi dû bien comprendre comment est-ce que je m’échauffais, comment est-ce que je faisais pour rentrer dans cet état que je cherche quand je danse juste pour danser.

 

Madeleine Planeix-Crocker

Et je voulais du coup faire un petit retour en arrière sur ton premier solo qui a été monté avant le confinement qui s’appelle i-clit qui traite de l’hypersexualisation digitale et digitalisée des corps de femmes-identifiées. Et je voulais te demander de quelle manière la danse t’a permis d’aborder ces enjeux.

 

Mercedes Dassy

Bah parce qu’il y avait le rapport aux corps qui était là d’office, le rapport aux corps mais aussi le rapport à la danse et aux corps qui bougent parce qu’on parle de corps ici, on parle de corps en mouvement et du coup ayant l’outil de la danse j’ai foncé dedans avec ça. Et parce que oui, parce que du coup en utilisant mon corps comme outil, comme objet, comme obstacle, comme terrain d’exploration je pouvais jouer avec cette notion d’objets et de sujets, comment est-ce que je dirige le regard sur mon corps ou comment est-ce que je l’expulse ou comment est-ce que je le dirige mais d’une certaine façon.

 

Madeleine Planeix-Crocker

Je pense qu’il y avait une autre juxtaposition aussi qui était intéressante entre l’organique et le numérique qu’on retrouve dès le titre i-clit...

 

Mercedes Dassy

Oui et c’est vrai que dans les qualités que je travaille il y a très fort ce truc de robotique et de mécanique...

 

Madeleine Planeix-Crocker

… de cyborg...

 

Mercedes Dassy

… et de cyborg et à la fois des choses beaucoup plus en chair. Et c’est aussi notamment à travers cette création que j’ai aussi développé certaines façons de danser. Donc en fait tout à l’heure je disais que parfois ça me faisait du bien de pratiquer en dehors d’une création ou d’un objectif créatif et à la fois dans ces objectifs créatifs là j'ai aussi développé des façons de bouger et des rapports à mon corps très spécifiques qu’on retrouve après quand je danse juste pour danser en fait, c’est lié.

 

Madeleine Planeix-Crocker

Et à la danse tu associes également le chant qui prend une place importante, à la fois dans le spectacle d’i-clit mais dans le reste de ton travail aussi. Mais pour rester sur i-clit tu convoques des figures assez connues de chanteuses issues du rap ou de la chanson de variété, mais tu crées également des figures fictives que tu incarnes pour également transmettre ta vision d’un féminisme pop. Est-ce que tu peux nous en dire plus ? 

 

Mercedes Dassy

L’icône de la chanteuse est de plus en plus présente dans mon travail. Et c’est peut-être aussi pour ça que je commence à chanter dans mes pièces. Il y a un truc qui me travaille là et qui, je trouve, vient faire se joindre différentes façons de… d’attrapper les sujets que je veux travailler. Des figures pop et connues qui ont un espèce de pouvoir de transmission de certains messages ça me travaille beaucoup parce que du coup qu’est ce qui se passe, qu’est-ce qui est transmis ? Et de toute façon, ce n’est jamais noir ou blanc. Oui, la chanteuse est toujours là. Et puis souvent la chanteuse est aussi sur scène, elle est dans son corps, elle est en mouvement, elle est en performance et à la fois elle a le texte, que moi je n’ai pas forcément en danse, sauf que je suis en train de l’amener par le chant quand même. Enfin j’ai l’impression qu’il y a un truc par là …  rires ... qui résout des questions que j’ai parfois de compréhension et d’accessibilité en fait, par rapport à ce que moi j’ai envie de partager. Et dans le féminisme pop, ce qui moi me réjouissait beaucoup c’était tout d’un coup cette espèce de popularité … une certaine popularité en tout cas du féminisme. Une certaine facilité à en parler et populariser ce courant là. Et, oui, le truc de l'accessibilité est pour moi super important et à travers la chanteuse pop il y a un truc qui se passe quoi.

 

Madeleine Planeix-Crocker

Et du chant on passe au cri dans ton dernier solo B4 Summer. En quoi ce cri témoigne t-il du constat assez vertigineux que tu fais de l’état chaotique du monde dans lequel on vit et surtout de nos engagements sociaux et politiques ?

 

Mercedes Dassy

Ce cri en fait il redevient chant en plus dans la pièce mais je crois qu’il était vraiment là comme… un cri ça peut-être tellement de choses mais c’est l’extériorisation d’un truc et aussi c’est l’expression de quelque chose de fort qui est de la colère ou de la force ou du pouvoir ou du désespoir assumé ou plein de choses. C’est aussi quelque chose que l’on produit parfois quand on est en labeur. Et je voulais parler de ce labeur là, ce labeur affectif par rapport à un vertige de pensée, par rapport au constat qu’on peut souvent faire de l’état du monde dans lequel on vit. Mais sans trop rester à l’intérieur. A la fois c’est une pièce plus introspective peut-être quand même que i-clit et que ce qui viendra après - et à la fois je voulais qu’il y ait cette action de sortir, parce que si je ne sais pas encore quoi dire ou comment le dire ou comment l'articuler, il y a déjà quelque chose qui sort et puis après oui au fur et à mesure de la pièce il se réarticule et puis il se transforme carrément en paroles de chansons…

 

Madeleine Planeix-Crocker

Et je pense que c’est une métaphore très juste par rapport à ce questionnement qu’on peut souvent avoir de comment s’engager justement sur un terrain. Et donc du coup il y a quelque chose de très instinctif ou d’intuitif dans le fait de crier.

 

Mercedes Dassy

Je pense que c’était le premier pas. En fait là il y a un truc qui doit sortir et puis après tu commences à capter comment tu agis, comment tu poses des actes. Mais là c’était vraiment d’assumer que j’étais encore juste là-dedans. Même si avant le fait d’avoir fait i-clit j’étais dans un truc déjà plus concret, frontal et dirigé mais là je suis un peu repartie dans un élargissement dans la réflexion mais aussi du coup forcément des vertiges.

 

Madeleine Planeix-Crocker

Peut-être d’en arriver un peu plus au terrain finalement, aussi. Et donc on en arrive à un autre terrain, qui est le tien, mais qui me permet aussi de te poser une dernière question, un clin d’œil au programme des Warm Up Sessions. Quel est le rôle des communs dans ton travail de manière générale, et peut-être plus précisément sur ta prochaine création RUUPTUUR ?

 

Mercedes Dassy

Il y a clairement un passage de solo au groupe en tout cas qui se fait dans ma trajectoire pour l’instant. Même si en fait c’est très important, toujours pour moi, d’insister sur le fait que mes solos c’est des travaux de groupe et que c’est jamais juste moi qui, qui bosse. On est une équipe qui m’est très chère. Et on est une équipe très fonctionnelle derrière avec la dramaturgie, les costumes, la lumière, le son, les regards extérieurs tout ça. Et même je veux dire la prod, la diff, tout ça c’est très important aussi. Les communs en fait sont toujours là, mais dans, c’est vrai dans ce qui est représenté sur scène, dans des solos bah clairement il y a une personne sur scène. Et là avec ma prochaine pièce, donc RUUPTUUR, j’ai vraiment eu envie et besoin de passer au groupe visible, de rendre visible le groupe qui travaille avec moi, et donc on sera quatre danseuses sur scène.

Il y aura Kim Ceysens qui vient plutôt du contemporain, un peu du cinéma aussi; il y a Kanessa Aguila Rodriguez qui vient plutôt de l’afro, de l’afro-house, du hip-hop tout ça, et qui aussi un peu plus jeune danseuse; et Justine Theizen qui vient du hip-hop et du krump et qui est aussi une danseuse un peu plus jeune. J’ai vraiment envie que chacune puisse garder son style et de nourrir la pièce avec ça mais de trouver comment en faire un commun. Et il y a clairement cette réflexion  du passage de l’introspection et de qu’est-ce que je veux faire, à en fait, non mais, je fais partie, je peux faire partie d’un groupe, il y a cette solidarité, il y a cette envie d’être ensemble pour faire les choses et oui, c’est important. On n’a pas encore commencé donc je ne sais pas en dire beaucoup, mais je, oui, je me réjouis de ce groupe. 

 

Madeleine Planeix-Crocker

En attendant que tu conjugues la rupture dans tout ça, on peut déjà te voir danser i-clit le 12 et le 13 juin à la Commune d’Aubervilliers pendant les Rencontres Chorégraphiques de Seine-Saint-Denis. Et il ne me reste plus qu’à te remercier de ta présence et pour ce que tu as partagé pendant l’invitation au mouvement et ensuite cet aperçu immersif que tu nous as donné sur ton travail et comment tu l’articules.

 

Mercedes Dassy

Avec grand plaisir. 

 

Madeleine Planeix-Crocker

Thank you Mercedes. Et merci à vous comme toujours à l’écran en attendant de vous accueillir à la Fondation très prochainement. A bientôt !