Le pouvoir de réminiscence du vêtement, qui peut être à la fois la madeleine d’un individu propre et d’une époque toute entière, est mis à l’épreuve du salon Vestoj, tenu par Anja Aronowsky Cronberg. À Paris, le 5 avril 2014 au sein de Lafayette Anticipations, sept professionnels de la mode ont adressé au public des histoires personnelles liées au souvenir d’un habit.
Leurs gages autobiographiques ont essaimé dans le bâtiment de Lafayette Anticipation – Fondation d'entreprise Galeries Lafayette, en proie aux déambulations. Ces récits, qui bout à bout n’en n’ont peut-être formé qu’un seul, ont été écrits sur la foi de souvenirs particuliers. Évoquant tour à tour la nostalgie ou l’héritage, ils ont donné à la mémoire de chaque narrateur une forme et une matière. Véritables memento mori textiles, les objets évoqués sont venus confirmer l’intuition de Victor Hugo selon laquelle l’histoire n’est jamais qu’un écho du passé résonnant au futur.
Les récits de Vestoj, offerts et répétés à l’attention de petits auditoires — eux-mêmes lancés les uns derrière les autres dans un arpentage narratif — ont ainsi estompé les frontières entre conteurs et spectateurs. Chaque histoire, faite pour un public restreint, également façonnée dans une certaine promiscuité, s’est couverte d’empathie. Qu’en a-t-il coûté à Jean-Charles de Castelbajac, Irene Silvagni ou Frances Corner, personnalités publiques et révérées de leur profession, de conter leur foi, leurs douleurs et souvenirs intimes devant de parfaits inconnus ? Une chasuble dessinée pour le Pape, une robe de mariée en dentelle achetée d’occasion, le manteau d’un père parti pour ne jamais revenir : autant d’histoires cousues de bienveillance. De quelle étoffe encore devait être fait le mannequin suédois Ingmari Lamy, venue offrir aux visiteurs les regrets de son histoire d’amour manquée avec le photographe Bob Richardson ? Ces paroles n’ont pas seulement été portées, elles ont été transmises. Leur rythme, leur intonation, leur jeu a varié au fil de la journée, selon les réactions de l’auditoire qui s’en est fait par le silence complice et co-auteur.
Grâce à Vestoj, la mode se dit au lieu d’être montrée, s'écoute au lieu d’être portée. Bien plus encore, l’expérience du Vestoj Storytelling Salon révèle combien l'habit participe à l’élaboration des identités. Trop petits ou trop grands ou simplement passés, ceux que l’on ne porte plus mais que l’on conserve nous aident à faire peau neuve des apparences usées.